Le 22 août, le monde a épuisé ses ressources naturelles
ENVIRONNEMENT - L'humanité vit «à crédit» à compter de ce mercredi...
Cette année, le jour «du dépassement» est ce mercredi 22 août. Selon les calculs de l’ONG Global footprint network, le monde a consommé en 234 jours les ressources naturelles produites par la Terre en un an.
Plus de consommation, moins de production
Ce qui inquiète le plus l’ONG, c’est que chaque année, la date du
«dépassement» avance: elle était estimée au 21 octobre en 1992, au 3
octobre en 2002 et dix ans plus tard, la date a avancé de plus d’un
mois. Les ressources produites par la planète
sont consommées bien plus rapidement qu’elles ne sont produites,
s’alarme l’ONG, qui compare les besoins croissants de l’humanité à la
disponibilité décroissante des ressources.
Ainsi, en 2008 l’humanité consommait 2,7 «hectares globaux» par
personne en moyenne, alors que la Terre ne pouvait supporter que 1,8
hectare par habitant. Les plus gros consommateurs de ressources sont le
Koweït et les Emirats arabes unis, dont chaque habitant utilise 11,68
hectares, tandis que la France, au 23e rang des pays gourmands, consomme 70% de ressources de plus qu’elle n’en produit. RDT
Villes et Vallée en Transition-Diois et Val de Drôme
Outil n°01 : La psychologie du changement et le
modèle FRAMES
Les Ateliers de la Citoyennetéde Écologie au Quotidien de
Die cet été 2012 avec le Dr Chris Johnstone, spécialiste de l’addiction ce 03 juillet 2012. Q.
: Que sont les « étapes du changement et d’où viennent-elles ? » R.
: […] Ce modèle repose sur
une idée simple et même évidente : le changement ne se produit pas d’un seul
coup. Il se déroule plutôt par étapes. Vous pouvez appliquer cela à
pratiquement tous les types de changements. Par exemple, si vous déménagez, le
déménagement lui-même constitue la Phase d’Action. Mais avant de déménager, de
l’organisation et quelques préparatifs sont nécessaires – c’est la Phase de
Préparation. Et avant cela, vous avez pris une décision à l’issue d’un certain
temps de réflexion – c’est la Phase de Contemplation. Il y a même eu avant cela
un moment où vous avez commencé à envisager de déménager – la Phase de
Précontemplation. Il y a encore deux étapes importantes, mais j’y viendrai plus
tard.
Ce modèle a été adopté avec enthousiasme dans le domaine du traitement de
l’addiction, car il offre la possibilité de se savoir où une personne se situe
dans son changement […] Mieux comprendre les différentes étapes permet de
repérer plus facilement ce qui bloque le changement. Une personne en phase de
préparation peut vouloir changer mais ne pas savoir comment ; une autre en
phase de contemplation peut être arrêtée par le désir ambivalent de vouloir
changer d’un côté, et de ne pas en être si certain de l’autre.
Ce modèle peut aussi s’appliquer à notre manière de penser et de réagir en
réponse au réchauffement climatique et au pic pétrolier. Il y a dix ans, la
plupart des gens ne se préoccupaient pas du réchauffement. Depuis, les choses
ont beaucoup changé : la plupart des gens sont passés au moins à la
contemplation et beaucoup à l’action. Mais les gens peuvent être à la fois à
des étapes différentes, avec des comportements différents. Ils peuvent en être
à la phase d’action pour remplacer leurs ampoules électriques, mais à la phase
de contemplation en ce qui concerne l’usage de l’avion ou de la voiture. Avec
le pic, les plupart des gens n’en sont qu’au stade de précontemplation. La
prise de conscience du public sur ce sujet est beaucoup plus faible. Mais cela
change vite.
Les deux autres étapes sont la rechute et la consolidation. Quel que soit le
changement, le mouvement peut aller autant vers l’avant que vers l’arrière. On
peut constater du progrès au début, puis les gens se découragent et se
satisfont de la situation, rechutant à l’étape précédente. C’est pourquoi la
phase de consolidation est si importante – étudier comment consolider l’acquis
et poursuivre l’effort dans le long terme. Schéma : Précontemplation
(prise de conscience de la nécessité de changer) >>> Contemplation
(examen du pour et du contre et motivation grandissante) >>>
Préparation (organisation et préparatifs) >>> Action (réalisation et
actualisation du plan) >>> Achèvement >>> Consolidation
(intégration du changement dans sa vie quotidienne) ou Rechute
Q. : Comment les acquis du domaine de l’addiction peuvent-ils aider le
mouvement écologiste à comprendre comment le changement se produit? R.
: Une idée répandue dans les
campagnes environnementales est que si les gens apprennent à quel point la
situation est grave, ils changeront. C’est pourquoi beaucoup de ces campagnes
se concentre sur la diffusion de l’information, souvent avec des images
dérangeantes et des récits d’épouvante. Sensibiliser le public est d’une
importance cruciale – mais il suffit de regarder un paquet de cigarettes pour
en voir les limites. l’information « Fumer tue » en capitales ne suffit pas à
décourager beaucoup de fumeurs.
Le domaine de l’addiction nous aide à comprendre la résistance au changement et
à travailler dessus. […] Il y a une résistance massive à s’attaquer aux dé fis
environnementaux et nous avons besoin d’être plus imaginatifs pour y répondre.
Il y a beaucoup à apprendre du domaine de l’addicition. […] Q.
: En quoi cela peut-il aider d’affirmer que nous avons une « addiction » au
pétrole ? R.
: Dans les sociétés
industrialisées, un mode de vie très dépendant du pétrole est considéré comme
allant de soi. La première étape pour s’attaquer au problème est de le
reconnaître, ce que nous faisons en employant une telle expression.[…]
Si quelqu’un reconnaît que son usage d’une substance menace sa vie, cela suffit
dans des circonstances normales à susciter l’envie de changer. Mais si on est
dépendant de quelque chose, l’idée d’arrêter ou simplement de diminuer est
perçue comme menaçante. Les personnes peuvent alors rejeter les informations
disant que leur substance préférée est dangereuse, ou continuer de l’utiliser
tout en sachant qu’elle peut les tuer. […]
L’importance de reconnaître qu’on est dépendant est que cela vous permet
d’anticiper et de gérer les obstacles au changement. Reconnaître que nous avons
une dépendance au pétrole peut nous aider à comprendre pourquoi nous avons tant
de mal à nous sevrer de nos habitudes, tout en nous indiquant les stratégies,
inspirées du domaine de l’addiction, qui peuvent nous aider à avancer. Q.
: Comment le traitement des addictions peut-il nous aider ? R.
: […] La première étape du
changement consiste à prendre conscience du problème et à passer à la phase de contemplation.
Mais il est facile de rester coincé à ce stade si un conflit surgit entre la
part de nous-mêmes qui voit la nécessité de changer et celle qui est habituée à
l’usage de substance et refuse de s’en passer. Pensez simplement à toutes les
choses que vous appréciez dans votre vie et que vous n’auriez pas sans le
pétrole. Il y en a tant ! Ce sont autant de raisons de retarder le moment de
faire quelque chose.
L’approche des « Entretiens de Motivation » a mis au point une façon de gérer
ces sentiments contradictoires. En offrant un espace où chacun peut exprimer à
la fois ses inquiétudes et ses résistances, l’ambivalence est révélée là où
elle peut être gérée. Cela aide les gens à clarifier les choses et à savoir ce qu’elles
veulent vraiment, et à passer aux étapes suivantes. Q.
: En pratique, comment utiliser ces connaissances dans les initiatives de
transition ? R.
: J’en ai tiré trois
principes qui sont déjà appliqués par le mouvement de transition : a)
Être attentif aux étapes du changement à l’intérieur des gens
Une des leçons que nous apprennent les guérisons des addictions est qu’informer
les gens ne suffit pas. […] Avec leurs groupes « Le cœur et l’âme », les
initiatives de transition prennent en compte les étapes du changement et les
blocages qui apparaissent dans l’esprit des gens. Cela leur permet de
s’intéresser aux autres enjeux que sont la motivation, la résistance et
l’ambivalence. b)
Créer des espaces où les gens se sentent écoutés en exprimant eux-mêmes leurs
arguments pour changer
Un des fondements des entretiens de motivation est que ce sont les gens qui
expriment leurs propres arguments. Plutôt que chercher à les convaincre, il
s’agit de leur offrir un lieu d’écoute qui les aide à exprimer leurs espoirs et
leurs craintes. C’est une façon d’entretenir la motivation nécessaire pour
dépasser l’ambivalence et surmonter la résistance.
Dans la plupart des meetings politiques, un orateur s’adresse à un public
relativement passif. Une approche basée sur les entretiens de motivation peut
donner aux auditeurs le sentiment d’être écoutés en leur permettant d’exprimer
leurs propres arguments pour changer. […] Aux lancements des initiatives de
Totnes, Lewes et Bristol, des centaines de personnes se sont retrouvées par
paires, l’une parlant et l’autre écoutant. Celle qui parlait avait droit à deux
minutes d’écoute à partir de chacune de ces trois phrases d’introduction :
- « Quand je pense au pic pétrolier et au changement climatique, mes craintes
sont que… »
« Ce que j’aimerais voir se passer de positif dans cette ville/village est… »
« Les actions que je peux entreprendre pour y contribuer sont… »
- Le rôle de l’écoutant était simplement d’écouter attentivement. Les rôles
changeaient après les trois phrases afin que chacun puisse s’exprimer. Ce moment
a duré une vingtaine de minutes et a visiblement relevé le niveau d’énergie et
d’enthousiasme parmi les participants […].
En exprimant nos inquiétudes, c’est à nous-mêmes que nous nous adressons. En
donnant une voix à notre vision, nous identifions la direction dans laquelle
nous voulons aller. Et en décrivant ce que nous pouvons entreprendre, nous nous
préparons à l’action. Cet outils simple peut contribuer à déclencher la mise en
route intérieure du changement. c)
Si changer paraît trop difficile, passez par une phase de préparation
Modifier un comportement d’addiction peut être si difficile que les gens
abandonnent parfois, pensant que c’est impossible. On peut considérer le
changement comme un voyage où l’on risque de traverser une « phase de doute ». […]
Avancer dans sa vie signifie souvent se tourner vers un mentor ou vers un guide
susceptible de transmettre les savoirs et les connaissances nécessaires pour
surmonter ce qui semble impossible.
En incluant une phase de
préparation, les étapes du changement offrent une alternative à la résignation
lorsque le double défi du pic et du climat paraît insurmontable. C’est pendant
la phase de préparation que nous nous travaillons à renforcer notre capacité à
réagir.
Les initiatives de transition ne consistent pas seulement à informer les gens.
Elles incluent aussi des formations pratiques sur les savoir-faire dont nous
aurons besoin dans la société de l’après-pétrole. Mais une formation
psychologique est tout aussi cruciale pour cultiver une vision positive et trouver
le moyen de surmonter nos « tueurs de rêves » intérieurs que sont la peur, le
cynisme et le doute.
Le doute peut être combattu en recherchant des exemples encourageants : les
histoires de sevrages réussis et le rebond de Cuba dans un contexte de pénurie
énergétique sont des références qui confirment la possibilité de s’affranchir
de la dépendance au pétrole. Dans mon livre Find Your Power, je propose un
ensemble d’outils pour contourner le sentiment d’impuissance et surmonter les
blocages. Une transition imaginative hors de l’âge du pétrole a besoin de cet
entraînement intérieur. Q.
: Quelle force l’intégration de ces outils et de ces connaissances donne-t-elle
aux initiatives de transition ? R.
: […] Les initiatives de
transition sont d’autant plus fortes qu’elles prennent en compte les dimensions
extérieures et intérieures du changement. Sans cela, quand nous rencontrons une
résistance au changement, nous risquons de nous plaindre et de critiquer au
lieu de chercher à comprendre et de trouver des répondes inspirées […] Nous
devons comprendre que lorsque quelqu’un est dépendant d’une substance, comme
nous le sommes du pétrole, il existe des résistances au changement dont il faut
tenir compte […]. Le
modèle FRAMES
Un modèle issu du domaine de l’addiction que je trouve particulièrement utile
[…] est le modèle FRAMES, conçu par Miller et Sanchez. […]. Fondamentalement,
il se compose de six éléments couramment inclus dans des traitements brefs de
l’addiction qui se sont avérés particulièrement efficaces. FRAMES est
l’acronyme de :
- Annonce
- Responsabilité
- Conseil
- Diversité d’options
- Empathie
- Auto-efficience Annonce
du niveau de risque
Dans le domaine de l’alcool et des drogues, il s’agit de présenter au patient
une évaluation honnête de leur problème et des conséquences potentielles, afin
de provoquer une prise de conscience. Dans le cas du pic, beaucoup de groupes
commencent par projeter The End of Suburbia, un film présentant très clairement
le sujet. Un élément essentiel du succès initial consiste à affirmer l’ampleur
du problème en termes forts. Il y a clairement un équilibre à trouver entre le
sentiment d’impuissance voire le traumatisme potentiel et un ordre du jour positif,
centré sur les solutions.
- Insistance sur le responsabilité de chacun pour engager le changement
Il s’agit de rendre la personne dépendante consciente du niveau de
responsabilité personnelle que le changement requiert. Dans le cas du pic, il
s’agit de faire comprendre que le double défi du pic et du réchauffement
résulte d’une multitude d’actions individuelles et que la solution implique
d’assumer la responsabilité de ces dernières. Très clairement, une mobilisation
« de temps de guerre » nécessite que la majorité des gens prennent leur part de
responsabilité. Il s’agit d’en appeler à la responsabilité de chacun plutôt que
de simplement dire aux gens ce qu’ils devraient faire. Des
conseils clairs pour changer
Des conseils clairs sont nécessaires pour venir à bout d’une addiction, mais ils
doivent être donnés sous forme de recommandations, pas de prescription. Il y a
deux niveaux : d’une part des conseils pour modifier les modes de vie
individuels, d’autre part des stratégies collectives en vue de la descente
énergétique. On peut d’ailleurs voir un plan de descente énergétique comme une
invitation à changer au niveau collectif […]. Une
diversité d’options
Afin de s’approprier un plan d’action et de s’en sentir responsables, les gens
ont besoin d’avoir étudié les différentes possibilités. Une démarche d’étude
est nécessaire pour en arriver aux recommandations du plan. Ici, les scénarios
du futur sont très utiles, car ils aident les gens à se projeter dans l’avenir
et à étudier les différents résultats possibles (voir les scénarios de la
première partie du livre). D’autres outils efficaces sont la vision et
rétroplanification., dont l’une des formes expérimentées par les initiatives de
transition est le conte (voir pages 118 et 200). Cet outil, développé à Totnes,
invite les gens à raconter des histoires via divers médias, faisant de
l’après-pétrole une réalité tangible. Empathie
dans le conseil
[…] Toute démarche qui cherche à engager une proportion significative de la
population dans la descente énergétique doit s’y prendre avec doigté et
instiller l’optimisme au regard du changement, plutôt que de lui faire des
reproches sur son mode de vie destructeur de planète. Susciter le sentiment de
s’embarquer dans une aventure collective, comme le dit Chris Johnstone,
pourrait bien être la clé de la démarche. Renforcement
de l’auto-efficacité et de l’optimisme
C’est une des clés du succès. Le terme d’auto-efficacité se réfère à
l’estimation qu’une personne fait de sa propre capacité à atteindre un but
précis, qu’il s’agisse de renoncer à l’alcool ou de réduire sa dépendance au
pétrole. Créer ce sens de « Je/nous peux/pouvons le faire » est essentiel si
l’on veut catalyser un changement à l’échelle dont nous parlons. Ecologie au Quotidien
C'EST UN JARDIN
TRÈS ORDINAIRE, un petit
jardin à la française. Il y a là, derrière la maison, quelques fleurs, un petit
abri pour le matériel et les boissons fraîches, un banc ombragé pour les
siroter et, vers le fond du jardin, un potager. Quelques rangs de haricots, un
carré de pommes de terre, des carottes, des salades, des fraises peut-être.
Uniquement des fruits et légumes vivant sous terre ou au ras du sol. Si bas que
leur entretien et leur récolte provoquent quelque gêne dans le bas du dos du
jardinier. Qui le leur reproche souvent, in petto ou chez le médecin. Et puis
il y a ces plants, bien accrochés à leur tuteur, qui s'élèvent à hauteur de
jardinier, bonne idée pour se faire apprécier. Pour ne rien gâcher, les tiges
et les feuilles sont comme un délice pour le nez, et les fruits très agréables
à la vue : arrondis comme des pommes, souvent rouge vif, parfois ornés d'une
belle collerette verte ; plus rarement jaunes ou orange, voire zébrés. Des
tomates. Pommes d'or en italien, ketchup en américain.
"Elles sont les
reines du potager. Un potager sans tomates, ça ne ressemble à rien !", explique fièrement Nicolas Toutain, chef
jardinier du château de la Bourdaisière, à Montlouis-sur-Loire. "On en trouve dans le monde entier, leur
consommation n'est contraire à aucune religion et, en France, elles ont été
l'apport de l'acidité dans la cuisine", ajoute Christian
Etienne, restaurateur d'Avignon surnommé "le pape de la tomate"
depuis qu'il propose, chaque été, un succulent menu 100 % tomates, de l'entrée
au dessert. "C'est le seul aliment
que tout le monde sait cuisiner, car tout le monde sait encore que l'on peut
faire une salade avec des tomates", ironise pour sa part
Pascal Poot. Ce cultivateur alternatif possède un catalogue de plus de 300
variétés anciennes et propose des stages "savoir-faire et découverte"
consacrés au fruit rouge, sur les hauteurs d'Olmet-et-Villecun, près de Lodève,
dans l'Hérault. Si la tomate est à la mode, assure-t-il, c'est surtout pour "une question de besoins".
Populaire, reine du
potager, la tomate est aussi, hélas, la reine des déceptions. Tous les
malheureux qui se contentent de l'acheter au supermarché, au marché ou au rayon
fruits et légumes d'une petite épicerie de quartier, en savent quelque chose.
Son goût n'est plus ce qu'il était. Chaque été, cette année un peu plus tard
que d'habitude, météo oblige, c'est la même histoire. Des experts patentés,
vous et moi, radotent la même chansonnette que les moins de 30 ans ne peuvent
pas comprendre. Ils dissertent sur son "vrai" goût, celui qu'elle
avait dans ce grand jardin qu'est l'enfance. Avec le peu de mots que la langue
française propose pour évoquer goûts, saveurs et odeurs, ils décrivent ce fruit
sucré, ses quelques notes plus ou moins acidulées, et sa pulpe, ah ! sa pulpe, d'une
incomparable texture, douce et charnue à la fois.
ILS ONT PATIENTÉ
JUSQU'AUX BEAUX JOURS,
dédaignant les tomates hors saison - comme Alain Juppé avec les cerises, ils
ont décidé de ne plus manger de tomates en hiver. Et alors, quand vient l'été,
on les voit flâner devant les étals des commerçants et les terrasses de
restaurants, où ils tentent de débusquer ce souvenir qui hante leurs papilles
et leurs cerveaux : sous les rondelles de mozzarelle, dans ces salades dites
"italiennes" ; sous un mélange de mie de pain, d'ail et de persil,
recette hâtivement baptisée "à la provençale" ; sur la croûte aillée
des bruschettas. Déception garantie, fadeur assurée, goût introuvable. Il
aurait été égaré, prétend la légende urbaine, dans le laboratoire de quelque
ingénieur agronome malfaisant. Ou dans une serre hollandaise, pays champion de
la tomate "high-tech". Ou encore sur un de ces lits de laine de roche
où les tomates hors sol poussent en abondance, quelque part en Bretagne, qui
doit être l'autre région du soleil, puisque de là proviennent la grande
majorité des tomates consommées en France.
La complainte a longtemps
été sourde, réservée. Mais depuis que les melons ont retrouvé leur goût sucré
et que les fraises semblent un peu moins trafiquées (odeur maximale, saveur
minimale), la colère monte chez les défenseurs du "vrai goût" de la
tomate. L'impatience se fait entendre jusque dans les beaux quartiers. Tendez
l'oreille. En 2001, dans son livre Les
Plats de saison (Seuil), Jean-François Revel fulminait contre des
tomates vendues au supermarché Unico de Plougastel sous l'étiquette "la saveur retrouvée". Elles
avaient, écrit-il, "encore moins de
goût que celles de [son] petit
maraîcher, qui en ont quand même un petit peu". Aujourd'hui,
c'est une collègue de bureau qui "ne
prend plus jamais de salades avec des tomates au restaurant".
Ou une voisine, "intoxiquée par les
tomates belges" quand elle vivait à Lille il y a quelques
années. Le bataillon des déçus ne cesse d'enfler. Résultat, la consommation de
la reine du potager est en baisse : - 6,2% en France en 2010, même si 95,1 %
des foyers français ont acheté des tomates fraîches cette année-là, selon les
statistiques de FranceAgriMer.
Que s'est-il passé pour
que les Français prennent ainsi leurs distances avec cette pomme d'or qui reste
leur fruit favori (consommation moyenne de 12 à 13 kilos par personne et par
an) ? Un peu d'histoire. La tomate a fait son apparition en Europe au début du
xvie siècle, emprunt des conquistadors espagnols aux Incas et aux Aztèques. Cette
plante de la famille des solanacées a longtemps fait l'objet d'une certaine
méfiance. Elle était seulement appréciée sous une forme médicinale ou pour ses
qualités décoratives, avant d'être reconnue comestible (début du xviiie siècle)
et de gagner sa place à table (début xixe siècle en France). Principale qualité
du nouveau fruit, "toutes les
variétés de tomates ont la faculté de s'adapter en trois générations à leur
nouvel environnement", souligne Pascal Poot. Ainsi sont
apparues la Marmande, la Montfavet ou la Roma, mais aussi la noire de Crimée,
la cornue des Andes, la géante d'Orenbourg, la rose de Berne, la Grégory Altaï,
la Paul Robeson... Impossible de recenser toutes les variétés existant à
travers le monde. Plusieurs milliers, disent les spécialistes.
LONGTEMPS, LA
DIVERSITÉ DES FORMEs et des
couleurs fut la norme. On mangeait la tomate du coin, soit la variété la mieux
adaptée aux conditions locales. "Avant
les années 1880, les semenciers n'existaient pas, rappelle Pascal
Poot. Paysans et villageois faisaient
leur sélection en fonction du goût du fruit, de ses qualités nutritionnelles et
de sa résistance aux maladies." Problème, les variétés
anciennes se conservent mal après la cueillette, elles ont la peau fine, sont
fragiles et difficilement transportables. Bref, pas très adaptées à la
consommation de masse qui s'est imposée après la seconde guerre mondiale. Or,
avec le progrès est apparu le goût de l'uniformité : semenciers, cultivateurs
et distributeurs se sont mis d'accord, la tomate devait être rouge et ronde ou
ne pas être. Les premières tomates hybrides ont commencé à pousser sous serre
dans les années 1960, des variétés offrant de meilleures capacités de
résistance et des rendements nettement supérieurs. Rondeurs et décadence.
"Au fil des
générations, écrivait il y a
quelques années la revue Semences et
Progrès, on a cherché à
introduire plusieurs gènes contrôlant la structure du fruit, l'épaisseur des
parois et des cloisons internes, de la peau." Et c'est ainsi
qu'ont été créées les tomates dites "long life" et le concept de
"désaisonnalisation" : en rationalisant les cycles de production sous
serre, en accélérant et en sécurisant les modes de transport, on pourrait
manger des tomates tout au long de l'année. "Dans
les années 1980, on a travaillé sur l'aptitude à la conservation et c'est là
que les choses ont commencé à se dégrader", explique Mathilde
Causse, chercheuse à l'Institut national de la recherche agronomique (INRA) à
l'unité Génétique et amélioration des fruits et légumes de Montfavet
(Vaucluse). On a créé des variétés longue conservation grâce à la mutation du
gène RIN (ripening inhibitor). Leur maturation va être plus lente, leur texture
va évoluer différemment pour devenir plus farineuse, moins aromatique. Et la
production va se développer à grande échelle, sous les serres du Nord et du Sud
: des tomates cultivées au Maroc et en Espagne pourront atteindre les marchés
d'Europe du Nord en hiver dans un bon état de conservation ; celles de Belgique et des Pays-Bas prendront
le relais au printemps, celles de Bretagne en été pour la consommation
française. Il suffit de les cueillir avant maturité et de les charger dans des
camions frigorifiques et on aura des tomates toute l'année.
Parfait, sauf que manque
de soleil et chaîne du froid égalent blocage des arômes et perte de goût. Mais
qui se souciait alors des saveurs de la tomate ? Selon
Pascal Poot , "le goût n'a pas
été pris en compte. Au contraire, c'est plutôt l'absence de goût qui était
recherchée, une forme de neutralité." Sur la terrasse de son
restaurant qui voisine le Palais des papes, à Avignon, Christain Etienne se
souvient de sa première conversation avec une spécialiste de l'INRA, lorsqu'il
envisagea de créer son menu tomates, voilà une vingtaine d'années : "Elle m'a dit que j'étais la première personne
à lui poser des questions sur le goût !""Pendant longtemps, on n'a pas sélectionné en
fonction du goût, on pensait qu'il était inhérent à la tomate",
reconnaît d'ailleurs Mathilde Causse. Selon cette chercheuse, le goût est
devenu un sujet de préoccupation pour les consommateurs – et donc pour les
producteurs – voilà une quinzaine d'années, lorsque tomates hollandaises et
daniela israéliennes, toutes plus "élaborées" les unes que les
autres, avaient envahi les marchés. "Les
hybrides F1 sont obtenus à partir de lignées pures, précise E.M.,
producteur de semences, de plants et de légumes à Boug-lès-Valence (Drôme). Dans ce mode de sélection, on appauvrit le
caractère génétique des deux parents jusqu'à obtenir le gène voulu, avec le
caractère voulu. Or, favoriser la stabilité et l'homogénéité, c'est le
contraire du vivant. Donc du goût."
Dans leurs potagers et
dans leurs laboratoires, jardiniers et chercheurs se sont donc remis au
travail. D'Italie est venue une idée brillante. Puisque l'odeur de la tomate
participe largement du plaisir qu'il y a à la consommer, proposons donc des
tomates odoriférantes. Comment ? En les présentant sous forme de grappes,
attachées à leurs tiges, là où se niche l'odeur de la tomate, que tout un
chacun confond avec son goût. Un plaisir apparemment retrouvé, mais un non-sens
botanique, puisque les fruits d'une grappe ordinaire, normale, mûrissent
progressivement, jamais en même temps, rappelle Nicolas Toutain, le
jardinier-chef de La Bourdaisière. Comme les autres variétés longue
conservation, la tomate grappe a donc perdu une partie de ses qualités
gustatives. Et déçu ses amateurs. Prochaine sur la liste des désillusions, la
tomate cerise, la plus prisée des plus jeunes – "elle ressemble à un bonbon et elle est sucrée",
relève Nicolas Toutain. Longtemps aveuglée par son traumatisme dû aux tomates
belges, la cliente du marchand de Belleville vient de réaliser qu'en plein été,
les minitomates lui coûtent 19,95 euros le kilo. Nouvelle déception. Eternel
recommencement.
ALORS QUE FAIRE ? Premièrement, savoir raison garder. Se demander
avec Christian Etienne si cette histoire du "vrai goût" disparu ne
relèverait pas de l'ordre du fantasme : "On
cherche aussi le bon pain d'avant et il y a toujours eu du bon et du moins bon
pain, comme il y a toujours eu des bonnes et des mauvaises tomates",
rappelle le chef avignonnais. Ensuite, savoir que le goût est chose extrêmement
subtile – celui de la tomate met en jeu 300 à 500 molécules (sucre, mais aussi
tanins, terpène, flavonoïdes, acides aminés...) – et très personnelle. "Chacun de nous a ses propres références. Si
vous avez été content de découvrir un goût, vous allez essayer de le
retrouver", souligne Patrick Mac Leod, retraité de la
recherche en neurophysiologie sensorielle et fondateur de l'Institut du goût, à
Paris. "La mémoire du goût, cela
n'existe pas, la mémoire existe et il n'y en a qu'une et elle est associative,
reprend M. Mac Leod. Par exemple, je ne
me souviens pas très bien du goût des tomates que j'ai mangées il y a dix ans,
je me rappelle mieux le goût de celles que j'ai mangées il y a deux ou trois
ans."
De nos cinq sens,
ajoute-t-il, la vision est prioritaire : "Nous
avons 1,5 million de canaux sensoriels qui envoient leurs informations au
cerveau. Un million concernent la vision, 500 000 les quatre autres sens. Pour vendre
leurs tomates, les producteurs s'adressent en priorité à leur aspect. Et les
gens qui ont acheté un beau fruit sont contents de le manger puisque c'est
beau. Jusqu'à ce que quelqu'un se lasse et se demande pourquoi il n'y a pas de goût
là-dedans." Après la vision vient le temps du toucher, "la texture va avoir son importance",
puis l'odeur. Une fois en bouche, "il
n'y aura plus que le goût, poursuit le chercheur. Le cerveau combine alors les images sensorielles du
goût et de l'odeur pour n'en faire plus qu'une, laquelle sera associée à celle
que j'avais fabriquée avec mes yeux. Au final, j'aurai une image unique dans le
cerveau, associée au mot tomate." Et la quête du "vrai
goût" peut commencer si cette combinaison évoque un certain plaisir.
Enfin, plutôt que de
désespérer ou de pester contre les progrès de la recherche, ne pas oublier que
partout des producteurs et des institutions se démènent pour faire revivre des
variétés malmenées par la recherche. Journées et fêtes de la tomate connaissent
un succès grandissant. Chez Jardin'Envie, à Bourg-lès-Valence, E.M. promet
qu'en revisitant les méthodes ancestrales et en les enrichissant des
connaissances nouvelles, on peut obtenir des tomates qui peuvent se conserver
jusqu'à trois mois à température ambiante, tout en gardant un goût agréable. A
Olmet-et-Villecun, Pascal Poot assure qu'il réussit à redonner aux enfants
l'envie d'en manger. Et Christian Etienne défend vigoureusement la cause des
tomates provençales, toujours les meilleures à ses yeux. "Il n'y a jamais eu autant de diversité de
goûts qu'aujourd'hui, plaide Mme Causse, à l'INRA. Mais les mêmes consommateurs qui exigent plus de
goût veulent en acheter en toute saison, même en hiver, tout en réclamant
qu'elles ne soient pas trop chères ! Beaucoup d'autres fruits et légumes ont
perdu de leur saveur, mais personne n'écrit sur le goût perdu des
haricots." Revers de la gloire, on ne pardonne rien à la reine
des potagers.