Déjà trois ans que la catastrophe nucléaire de Fukushima a eu lieu ...
Fukushima : habiter dans la zone ou devenir un paria par Michèle Rivasi (à droite sur la photo)
Déjà trois ans que la catastrophe nucléaire de Fukushima a eu lieu et nous n’en avons pas encore appréhendé toutes les conséquences. Tout comme la gestion de l’accident, la situation post-accidentelle semble improvisée, pour ne pas dire négligée.Aujourd’hui, la société Tepco évoque 30 à 40 ans de travaux avant que le site soit sécurisé et sans danger immédiat, sans aucune garantie que la catastrophe ne s’aggrave encore. En effet, les combustibles encore présents dans le réacteur n°4 sont encore très instables et font craindre un autre accident en cas de catastrophe naturelle (séisme, tsunami, typhon).
Pour les Japonais, la catastrophe est avant tout humaine, et bientôt sanitaire. Près de 300 000 personnes qui vivaient près de Fukushima ont été évacuées, entrainant de nombreux problèmes : pertes d’emplois, stigmatisation, insécurité, stress, maladies...
Aujourd’hui, on estime à environ 1 700 le nombre de victimes de la situation post-Fukushima, leurs décès étant liés au stress ou à d’autres maladies. Des chiffres peu fiables qui seront forcément amenés à grossir avec l’épidémie de cancers qui a déjà commencé, notamment parmi les enfants.
Habiter dans la zone ou devenir un paria
Les autorités japonaises ont dernièrement levé l’interdiction de se rendre dans certains districts de Fukushima et le gouvernement appuie le retour des populations dans ces zones. Habiter en zone contaminée, ou vivre comme un paria : tel est le dilemme auquel sont confrontés les anciens habitants de Fukushima.
Les Japonais qui reviendront perdront l’indemnité qu’ils touchaient en reconnaissance de leur préjudice moral. Pour les autres, le versement des indemnités pourrait s’arrêter dès 2015.
Face au déni de responsabilité du gouvernement, la société japonaise – traditionnellement soumise à l’autorité – continue de se mobiliser. L’abandon des poursuites contre les responsables de la catastrophe de Fukushima a été vécu comme une trahison et des centaines de personnes ont manifesté à Tokyo contre cette décision.
Sans oublier le scandale des SDF japonais, recrutés par les mafias japonaises pour nettoyer les alentours de Fukushima, sans connaitre l’intensité des radiations à laquelle ils sont exposés et pour un salaire de misère.
Le prix de l’accident
Fukushima a aussi un coût financier et économique démesuré, estimé à environ 200 milliards d’euros, soit l’équivalent de la reconversion complète du modèle énergétique japonais vers des énergies renouvelables. Tepco, nationalisé depuis 2012, est sous perfusion de l’État. Au final, ce sont donc les citoyens japonais qui paieront le prix de cet accident.
N’oublions pas qu’en France, dans un rapport confidentiel paru au mois de février 2013, l’Institut de Radioprotection et de Sureté Nucléaire (IRSN) estimait entre 430 à 1 000 milliards d’euros le coût d’un accident nucléaire majeur en France. L’IRSN avait aussi avancé le chiffre de 5 800 milliards d’euros dans le cas où les conditions météorologiques empireraient la situation.
Les conséquences économiques pour le Japon sont importantes : augmentation du prix de l’énergie liée à l’importation d’énergies fossiles, effondrement de l’économie locale autour de Fukushima, baisse du tourisme... Tout cela alors que la dette publique atteint des sommets (230% du PIB en 2013).
La gestion de l’eau contaminée
Enfin, la catastrophe environnementale est mondiale. La gestion de l’eau contaminée (pour refroidir les combustibles) est un casse-tête sans solution, qui pousse les autorités à des rejets massifs (400 tonnes d’eau par jour selon les dernières estimations) dans l’Océan Pacifique.
Défauts de construction et erreurs humaines sont les principales raisons de ces fuites, que l’on ne peut colmater et qui contaminent l’environnement marin à l’échelle globale.
Seule une partie de l’eau contaminée est stockée dans des citernes autour de la centrale. Or, on estime le volume d’eau stockée dans les citernes sur le site de Fukushima à plus de 400 000 mètres cubes d’eau.
Un chiffre lui aussi amené à grossir alors même que le nombre de citernes et leur qualité fait défaut. A l’heure qu’il est, personne ne sait encore comment va s’opérer la décontamination ou le stockage de cette eau sur le long terme.
Des webcams dans la centrale
Une bonne nouvelle néanmoins, Tepco a enfin commencé à retirer les combustibles de la piscine 4, qui est la plus grande menace aujourd’hui. L’état des barres de combustibles, endommagées par l’accident et corrodées par l’eau de mer, rend l’opération risquée.
Surtout, Tepco n’a toujours pas accès à certaines parties de la centrale où seuls des robots peuvent pénétrer. Ils enregistrent des images des lieux, en attendant que la radioactivité ait suffisamment baissé pour qu’une intervention humaine soit possible.
Dans ce contexte post-apocalyptique, le gouvernement japonais souhaite néanmoins faire redémarrer ses centrales : deux réacteurs devraient être réactivés d’ici cet été alors que la transparence fait toujours défaut.
La société Tepco se vante de l’installation de webcams qui permettent au public de surveiller les centrales en direct, mais les autorités continuent de dissimuler ou minorer certaines informations concernant l’étendue de la contamination, la gestion de la catastrophe ou bien la sécurité alimentaire.
Le dernier homme de Fukushima
Pour toutes ces raisons, je tiens à saluer Naoto Matsumura, le dernier homme de Fukushima, que nous avons la chance d’accueillir en France et dont les propos doivent nous interpeller :
« J’avais connaissance de Three Miles Island et de Tchernobyl, mais on nous disait que la technologie japonaise était la meilleure ; c’est exactement le même discours que j’entends aujourd’hui de la part d’EDF en France ».
Au Japon, 80% des éléments radioactifs sont retombés dans l’océan, si un accident de cette ampleur avait lieu en Europe, les conséquences sur les populations seraient bien plus importantes. Alors qu’en France le débat sur le vieillissement des centrales fait rage, alors qu’EDF croule sous les travaux de maintenance, pouvons-nous courir le risque de jouer avec le feu nucléaire ?
Les trois ans de Fukushima, ce n’est pas une vaine commémoration, c’est un rappel à l’ordre, pour ne pas oublier et pour reprendre la main sur notre avenir énergétique !
Michèle Rivasi
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