dimanche 28 mai 2017

Biovallée : La Transition c’est nous !



La Transition c’est nous ! 

Alors que s’achèvent les 4 jours de colloque sur la « Transition »en Biovallée  organisés par « le Laboratoire de la Transition » revenons sur ce concept qui permet de mobiliser toutes et tous les habitantEs d’un territoire, sans  a priori et sans exclusion. (Photo : Ecosite de Eurre: une partie des 70 transitioneuses-eurs ).
Par transition on désigne aujourd’hui une phase très particulière de l’évolution d’une société, où celle-ci rencontre de plus en plus de difficultés, internes et/ou externes, à régénérer un système économique et social sur lequel elle se fonde et commence à se réorganiser, plus ou moins vite ou plus ou moins violemment, sur la base d’un autre système qui finalement devient à son tour la forme générale des conditions nouvelles d’existence.
Quelques idées force
1. Dans un système complexe, une transition décrit le passage d’un état de départ devenu instable à un état d’arrivée stable ou en tout cas, adapté aux nouvelles conditions du moment.
2. Notre monde, nos systèmes sociaux, démocratiques et techniques, nos organisations, ont de multiples raisons d’entrer en transition. Mais ils ne le font pas ou peu, ou trop timidement.
3. La plupart des transitions souhaitables, notamment la transition écologique, savent raconter leur but, mais échouent à définir un chemin…
4. Ces transitions sont faites pour se rencontrer. C’est l’ambition que poursuit cette édition du « Laboratoire de la Transition ».
5. Utilisez les actes qui vont suivre ces 15,16, 17 et 18 mai 2017 à Eurre et à Die sont à la fois comme une invitation à agir, et comme une boîte à outils pour le faire.
Un monde en Transition
Soit un monde, le nôtre, dont les principes organisateurs cessent peu à peu de fonctionner comme auparavant sous la pression :
- de tendances lourdes, sur lesquelles nous n’avons guère d’influence à horizon visible : le changement climatique, l’épuisement de nombreuses ressources naturelles, le vieillissement de l’Occident et d’une partie de l’Asie…
- de tensions internes que nous ne savons plus contenir : l’explosion des inégalités, l’ingouvernabilité de la finance, le poids des économies mafieuses, la recherche parfois violente de sens, de certitudes voire d’appartenance…
- d’innovations et de pratiques émergentes qui, en s’étendant et s’agrégeant, finissent par substituer leurs mécanismes nouveaux aux anciens : pour ne parler que d’eux, le numérique et ses pratiques subvertissent à la fois les règles de l’économie de marché (rendements croissants, effets de réseaux, ‘communs’…) et celles des modèles administrés (horizontalité, transparence, ouverture…).
Ce monde n’a d’autre issue que de changer.
Et alors ? Le monde a changé bien des fois dans le passé, qu’y a-t-il de neuf cette fois ? Ceci : que, confronté d’une part à sa finitude (celle des ressources et de l’écosystème) et à son unification (par les médias, les réseaux… et les défis environnementaux), il doit penser et choisir sa destination ; et se tailler un chemin dans cette direction ; en sachant bien que chaque pas, chaque choix d’orientation, modifie un peu le point d’arrivée.
Nous venons de décrire une transition, avec tous ses ingrédients : un système complexe ; un état de départ rendu instable par des changements venus de l’intérieur comme de l’extérieur ; et son passage vers un nouvel état significativement différent du précédent, en empruntant un chemin de transformation plus ou moins long, escarpé et incertain.
Nous savons nécessaire une transition ‘durable’ de notre modèle de développement.
Nous le savons même depuis longtemps : pour certains depuis le rapport du Club de Rome sur les ‘limites de la croissance’ en 1972 ; ou le rapport Brundtland (1987) qui installe l’expression ‘développement durable’ et conduit à la création du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC, 1988) ; ou le premier « Sommet de la Terre » à Rio en 1992, d’où est issu l’Agenda 21 ; en tout cas depuis son successeur à Kyoto (1997), où fut signé le Protocole du même nom.
Pourtant la transition écologique n’a pas eu lieu.
Elle est à peine engagée. Nos manières de vivre, de produire, de consommer, de nous déplacer, de gérer nos communs n’ont guère changé. Si le ‘bilan carbone’ de l’Europe semble s’être amélioré depuis que les engagements de Kyoto ont été pris, elle le doit dans une large mesure à la délocalisation de son industrie. De rapport en rapport, le GIEC alerte :
« Malgré la mise en place de plus en plus fréquente de politiques visant à les réduire, les émissions de gaz à effet de serre ont augmenté de 2,2 % par an entre 2000 et 2010 ; c’est plus que sur la période 1970-2000, au cours de laquelle ces émissions ont augmenté en moyenne de 1,3 % par an 1. »
Que faire ?
- On tente de faire mieux à la prochaine conférence internationale, par exemple la COP21 à Paris fin 2015. Les résultats des 20 précédentes éditions n’invitent pas à l’optimisme…
- On anticipe le pic pétrolier et le changement climatique en se repliant sur la recherche pragmatique d’une ‘résilience’ locale : c’est l’approche des ‘villes en transition’…
- On réduit la taille du problème pour passer de l’échelle de la Planète à celle d’une ville, d’un territoire, d’un réseau, d’un marché, d’une entreprise… les ‘agendas 21’ adoptés par des villes et des entreprises, les travaux du Knowledge Network for System Innovations and Transitions (KSI) néerlandais se situent à cette échelle…
- Ou encore, on regarde autour de nous, à la recherche de forces suffisamment puissantes pour produire des changements majeurs dans les systèmes apparemment les plus figés.
Quelles forces de changement ?
Pas celui qui fournirait magiquement les solutions à nos maux économiques, sociaux, politiques et environnementaux : les innovations sont aussi l’un des produits, l’une des manifestations de notre modèle de développement non soutenable. La recherche de réponses purement techniques au vieillissement de la population, à la surconsommation de ressources ou au changement climatique est en fait timorée et conservatrice : elle n’est pas et ne sera jamais à la hauteur de l’enjeu (aucune technique ne peut permettre à elle seule d’atteindre le ‘facteur 4’, la division par 4 de nos émissions d’ici 2050 à laquelle la France et l’Europe se sont engagées) ; et elle produit généralement toutes sortes d’effets secondaires (les téléservices engendrent de nouveaux déplacements, le recours excessif aux automates pour soigner les personnes âgées crée de la solitude et aggrave leur état…).
Les habitantEs  principale énergie renouvelable
- Mais plutôt cette force vitale qui en fait aujourd’hui le pôle d’attraction de millions d’innovateurs, expérimentateurs et d’entrepreneurs et la source de la transformation d’à peu près tous les secteurs, tous les domaines d’activité humaine, toutes les organisations, tous les territoires,…
- celle qui a transformé pour toujours le paysage des réseaux, des médias et de la culture, avec l’internet, le web, la ‘convergence’ via la dématérialisation, le ‘pair à pair’,
- celle qui a donné naissance aux réseaux sociaux, au mobile, au GPS, qui ont si profondément transformé notre quotidien,
- celle sur laquelle s’appuient Wikipédia comme BlaBlaCar, Uber comme le logiciel libre, pour transformer tout un marché à leur bénéfice ou même en créer un tout neuf,
- celle de la fulgurante propagation de #jesuischarlie, des lanceurs d’alerte, des printemps arabes… et des vidéos de Daech adressées aux jeunesses perdues du monde ? Oui, c’est bien la même force.
Métamorphoses
Ces transitions, qui englobent mais dépassent l’informatique, ont une affinité naturelle, presque physique, avec le changement. En transformant (presque) tout objet en octets et toute action en programme, il rend les uns et les autres à la fois plus plastiques et plus homogènes, donc plus aisés à recombiner. En interconnectant personnes, octets et programmes, il étend à l’infini la diversité des acteurs comme le nombre de leurs combinaisons possibles – et par conséquent l’incertitude, jusqu’à une forme d’incertitude radicale qui devient notre état normal.
Cette force a une sorte de direction : les transformations possèdent plusieurs caractéristiques communes. Mais elle n’a pas vraiment de but : qui saurait dire à quoi ressemble le monde d’après la/les transition(s)?
Une transition associe un chemin à un but. Les autres transitions aujourd’hui considérées comme souhaitables, à commencer par les transitions écologique et démocratique, ont en quelque sorte le problème inverse : elles savent assez bien dire où elles nous emmènent, et assez mal dire comment.
Ces récits de transition sont faits pour se rencontrer. Ils ne le font pas assez. Nous avons l’ambition de changer ça. (Photo2 : une partie des 80 transitioneurs-euses réuniEs à Die ).
Contre le fatalisme … poser des outils pour penser et engager les changements.
Parce que c’est maintenant et pas dans 10 ans…
- que l’action publique doit se coproduire avec les citoyens,
- que l’École doit se reconnecter à la pulsation du monde,
- que la santé doit devenir sociale, préventive et holistique,
- que les territoires doivent réécrire un récit collectif à la fois frugal, inclusif et désirable,
- que les entreprises doivent redevenir un lieu d’épanouissement pour les gens,
- que la recherche…, que les médias…, que la démocratie…, que la ‘culture’…, que les mobilités…, que l’Europe…, que…
 
Cette édition de « laboratoire de la Transition » peut d’abord se lire comme une invitation à sortir du fatalisme (« ça fait 30 ans qu’on en parle ! », « à mon échelle je ne peux pas faire grand-chose ») ou du déterminisme (« l’avenir – radieux ou sombre – est écrit »).
- Un, nous pouvons tous penser des transformations à l’échelle des systèmes dont nous sommes des agents.
- Deux, ce faisant nous réalisons qu’il existe plusieurs histoires de transition, avec plusieurs fins, qui dépendent de nous.
Trois, en racontant ces histoires, nous nous y projetons et nos actes influencent l’avenir commun comme le nôtre propre.
L’avenir est à écrire
L’avenir est à écrire comme le récit d’une transition. Nous l’avons fait cette année à propos de quatre domaines : la démocratie, le Travail et l’entreprise, l’école, la post-croissance.
À votre tour, vous pouvez le faire là où vous êtes. Cette 1ère édition du « Laboratoire de la Transition »  peut s’utiliser comme une boîte à outils pour écrire le récit d’autres transitions : celles qui vous concernent.
M.C.D.

Et le politique ?
La rigidité et la verticalité des organisations publiques ne leur permettent pas de s’adap­ter rapidement aux transforma­tions de la société.
Mondialisation, décentra­lisation, économie numérique... contribuent à la porosité des frontières, réduisent la portée des politiques natio­nales, questionnent la souverai­neté et imposent de reconstruire la maîtrise publique.
L’écart se creuse entre les attentes des individus et les modes d’action publique classiques, qu’il est important d’ouvrir.
Le jeu d’acteurs évolue dans tous les champs de l’action publique, incitant à fédérer les dynamiques.
Le numérique peut favoriser le décloisonnement de l’action publique.
L’action publique est à la fois plus attendue que jamais, et plus incertaine que jamais quant à ses missions, ses métiers, ses manières d’agir.
Elle est constamment critiquée pour sa difficulté à produire de la sécurité, des services essentiels qui marchent, mais aussi du sens, des valeurs, du lien, des rites, des formes efficaces de délibération ou d’arbitrage : ce qui dessine, en creux, une forte demande.
Elle apparaît aussi constamment décalée face à la complexification du réel et celle des sujets, à l’imbrication des temps et des échelles, à l’accélération des cycles : le défi est immense.
Ce défi est d’autant plus difficile à relever que des vagues successives de nouveaux acteurs, appuyés sur de nouveaux outils et de nouvelles manières d’agir, se proposent de prendre en charge certaines de ses missions, des pans de l’intérêt général, les nouveaux services qui remplaceront les anciens...
Les transitions est souvent le levier dont se servent ces nouveaux acteurs. Des acteurs publics s’en sont eux-mêmes emparés depuis longtemps. Mais, tandis que leurs nouveaux concurrents en faisaient un outil de transformation continue, protéiforme, imprévisible, ils s’en sont servis pour optimiser l’existant au prix, souvent, d’une rigidification à contre-courant.
Ces tensions produisent un affaiblissement profond de la ‘puissance publique’, auquel s’ajoute une incertitude presque existentielle. Or notre monde a besoin de ce qu’elle peut apporter : du long terme pour appuyer la réactivité, de la continuité entre échelles, de l’inclusion, des ‘communs’ pour que la concurrence ne débouche pas toujours sur des monopoles... et parfois, de la force pour faire face aux menaces.
La transition qui attend l’action publique et ceux qui la conduisent peut leur redonner sens et vie, au prix de transformations profondes. Mais le monde n’attend pas : elle doit s’engager vite, ou bien il pourrait être trop tard.

Ils ont écrit :

« Les nouveaux mouvements sont enracinés dans l’expression personnelle des indivi­dus, mais ils ne sont en rien individualistes dans le sens néolibéral du terme. Ils visent à développer des communautés d’amitiés, d’intérêts partagés, de pratiques communes ou de voisinage dont les produits sont placés sous des statuts de communs librement utilisables ou partagés (selon leur nature). Ces communautés peuvent développer des activités commerciales ou de mutuali­sation monétaire, mais comme un moyen parmi d’autres d’assurer leur soutenabilité. Les individus participent fréquemment à plusieurs communautés et leur implication prend la forme d’une participation aux activi­tés plutôt que d’une appartenance ou d’une affiliation. »
Philippe Aigrain, « Les actions décentralisées des citoyens peuvent-­elles régénérer la démocratie ? » Internet Actu, 2014

« La stratégie de domination du capital consiste à empêcher la naissance d’autres activités et à conduire les gens à considérer que le travail rémunéré, le travail­ marchan­dise, le travail­emploi est indispensable à leur activité et à leur épanouissement personnel. En réalité maintenir les gens dans la pers­pective du travail ­emploi alors qu’il y en a de moins en moins, de plus en plus fractionné, de plus en plus précaire, de plus en plus surexploité et de moins en moins assuré, c’est une stratégie de domination. »
André Gorz, entretien sur France Culture, 2005 

« Puisque nous avons le savoir et les technologies devant nous, nous sommes condamnés à devenir inventifs, intelligents, transparents. L’inventivité est tout ce qu’il nous reste. »
Michel Serres, Les nouvelles technologies : révolution culturelle et cognitive, Conférence pour les 40 ans d'Inria, in interstices.info, 2007

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