Comment financer la transition écologique?
(Photo : Dominique Dron a coordonné la rédaction du rapport).
C’est la question qui fâche. Si (quasiment) tout le monde convient qu’il est urgent de mettre à jour notre logiciel économique pour s’adapter à une moindre disponibilité des ressources, aux changements climatiques et à la déstabilisation des écosystèmes, le consensus n’est pas encore trouvé sur le mode de financement de cette transition écologique.
Il y a tout juste un an, le gouvernement chargeait les experts du Commissariat général du développement durable (CGDD) et de la Direction générale du Trésor (DGT) de plancher sur le moteur de ce projet de société. Fruit de cette cogitation inédite, le Livre blanc sur le financement de la transition énergétique est, depuis ce 18 novembre, ouvert à la consultation pour deux mois seulement, sur le site du ministère de l’écologie.
Une note de plusieurs centaines de milliards
Dès le préambule, les auteurs plongent le lecteur dans le bain: «La transition écologique désigne la nécessité pour nos économies de rendre leur évolution compatible avec les ressources finies de la planète et le maintien des régulations naturelles indispensables à la vie telles que le climat ou le fonctionnement des écosystèmes. […] Elle suppose donc non seulement un découplage entre la croissance économique et les prélèvements, en quantité et en qualité, sur le capital naturel, mais également l’adaptation du rythme de leurs utilisations à notre capacité à entretenir ces régulations et renouveler ces ressources.» Dit autrement, il est urgent «d’intégrer le capital vert dans nos économies réelles», comme le rappelle aussi le dernier opus des économistes Christian de Perthuis et Pierre-André Jouvet.
Se livrer à cet indispensable exercice ne se fera pas sans mal. «Nous sommes, en effet, dans une période charnière, explique Dominique Dron, coordinatrice du rapport. Dans le même temps, nous devons renouveler équipements et infrastructures qui arrivent en fin de vie et nous adapter à un nouveau contexte environnemental. Nous devons donc investir des montants considérables pour rénover nos réseaux d’eau, nos systèmes énergétiques, nos villes, nos systèmes de transport. Cela, nous l’avons déjà fait, après-guerre par exemple. Mais nous devons mobiliser les financements publics et privés alors que le contexte financier a considérablement évolué depuis une vingtaine d’années.»
Sans (trop) forcer le trait, l’Etat, très endetté, n’a pas les moyens de régler une note dont le montant se chiffre déjà en centaines de milliards d’euros sur quelques décennies. D’un autre côté, et c’est un euphémisme, les investissements à long terme n’ont pas la cote chez les investisseurs classiques, avides de payback à court terme. «Ce manque d’intérêt est renforcé par les normes comptables actuelles qui ne tiennent pas suffisamment compte de la spécificité des investisseurs de long terme, qui se caractérise par un passif de longue maturité», souligne l’ancienne commissaire générale au développement durable. Autre difficulté: l’évaluation des risques, fondamentale pour un investisseur, est toujours plus difficile à réaliser dans un contexte mouvant (réchauffement climatique, moindre abondance de ressources, tensions géopolitiques) que dans un univers normé.
4 principes, 63 propositions
Dans de telles conditions, comment «mobiliser les financements privés vers la transition écologique», pour reprendre le sous-titre du document, et modifier les comportements des investisseurs publics (BPI, CDC) et privés? A cette interrogation, le rapport répond par 4 principes, lesquels englobent 63 propositions.
Les auteurs recommandent notamment d’améliorer «la prévisibilité et les signaux fournis aux acteurs par le cadre règlementaire et les outils économiques». Exemple: définir, pour 40 ans, de nouvelles règles de fonctionnement (plans d’allocation de quotas compris) de l’ETS. Ce qui incitera les industriels à investir dans la réduction d’émission plutôt que spéculer sur la baisse du prix du quota de CO2.
Autre grand programme: compléter l’existant par des instruments conçus pour attirer les capitaux vers la transition écologique. Ce qui pourrait susciter, par exemple, l’émergence de petits partenariats public-privé dédiés à la rénovation des immeubles d’habitation.
Troisième principe: renforcer la prise en compte des enjeux extra-financiers de la transition écologique par les parties prenantes. Ce qui passe par des mesures aussi diverses que la revalorisation des investissements «socialement responsables» (pour attirer l’épargne), la refonte des normes comptables (pour attirer les investisseurs) ou le déploiement de l’information environnementale sur les produits (pour attirer le consommateur). Ce qui passe également par l'obligation pour les investisseurs institutionnels, français et européens, d'intégrer systématiquement les critères extra-financiers dans leur politique d'investissement.
Last but not least, Bercy et Roquelaure recommandent aussi de «renouveler le cadre intellectuel des pratiques des acteurs autour des objectifs et du financement de la transition énergétique». Que les âmes sensibles se rassurent: il ne s’agit pas d’un lavage de cerveau. Mais plutôt d’outils et de pratiques destinées à nous préparer à un changement de paradigme: intégration de données environnementales dans les indicateurs économiques classiques (le fameux PIB), renforcement de l’information sur la «valeur ajoutée» environnementale des produits et services, diagnostic de vulnérabilité des projets.
Boîte à idées de la prochaine conférence bancaire, annoncée pour le mois de mars prochain, lors de la dernière Conférence environnementale, le rapport Dron forme aussi l'essentiel de la réponse française au Livre vert que le commissaire européen Michel Barnier a consacré au financement à long terme de l’économie européenne.
Valéry Laramée de Tannenberg
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire