Stratégie pour « Sauvez le temps » :
Recréer des rythmes collectifs autour de nouvelles richesses.
On ne pourra pas prendre collectivement le temps de
réfléchir à de nouvelles richesses sans sortir de l’emprise du monde du
travail actuel. Se libérer de la surcharge que le champ du « travail
officiel » met sur nos vies est un préalable essentiel pour faire ce pas
de côté – dans l’esprit de « on arrête, on réfléchit et c’est pas
triste », fameux sous-titre de la bande dessinée de Gébé l’An 01 publiée en 1972).
La plupart des gens disent manquer de temps pour prendre du recul,
s’informer, s’impliquer pour faire et vivre autrement. Il est certain
que même celui qui dispose de plein de temps (le retraité, le
décroissant qui travaille à temps très partiel…) a aussi le sentiment de
courir souvent et de manquer de temps pour faire tout ce qu’il aimerait
faire. Mais c’est aussi parce que, comme le montre très bien Hartmut
Rosa dans son livre passionnant
Accélération (Cf notes sur mon blog
ici),
nous en sommes tous réduits à gérer notre temps à « flux tendu » en
maintenant ouvertes le plus d’options possibles pour l’avenir car nous
ne savons plus très bien comment choisir, car nous sommes seuls : il
manque des horizons de sens partagé pour choisir sans se perdre dans
l’infinité des possibles, et des rythmes et temps collectifs pour ne pas
être sans cesse en train de chercher à rester connecté, pour ne pas
s’isoler.
Pour définir ensemble et socialiser massivement ces
nouvelles valeurs /richesses, chacun doit pouvoir disposer de
suffisamment de temps pour se les approprier et tisser autour des
rythmes collectifs nouveaux, du local (dans son quartier, son village,
autour du marché hebdomadaire, d’un jardin partagé, d’un café
associatif…) au global (via le réseau international des Villes lentes,
des Initiatives en transition…).
La lutte pour faire émerger de nouvelles
richesses est étroitement liée à la lutte pour libérer notre temps de la
centralité toute-puissante du travail, et par là aussi au
combat des « chômeurs heureux » et autres précaires qui préfèrent
assumer le statut de marginaux qu’on leur colle plutôt que de sacrifier
leur précieux temps pour un job indigne à tout prix.
Et inversement : la lutte pour « sauvez le temps » de
cette pression inédite de l’accélération, qui nous mine au quotidien,
est étroitement liée à la lutte pour faire émerger de nouvelles valeurs
et richesses, qui seront de nouveaux repères pour sortir
individuellement et collectivement de la spirale de l’accélération.
C’est pour cela que je propose dans cet article de
relier ces trois champs de luttes : celui qui travaille à faire
reconnaître de nouvelles richesses ( notamment le Collectif FAIR et le
Collectif Richesses); celui qui fait une critique du travail (des
Chômeurs Heureux et d’AC !, au collectif Krisis et son Manifeste contre
le travail, en passant par les partisans de la réduction du temps de
travail et du revenu minimum universel) ; et celui qui en appelle au
ralentissement et qui crée ces déclinaisons pratiques (le mouvement
international des Villes lentes, la Grande pause, la Slow Food…).
Je crois que ces trois champs de luttes auraient beaucoup à gagner à travailler davantage en synergie !
La lutte pour de nouvelles richesses
Cette lutte passe par la remise en cause du PIB en
tant que mesure toute-puissante de la richesse des sociétés humaines. En
effet, le PIB ignore ce qui ne fait pas partie du secteur marchand et,
pire, il peut être négativement impacté (c’est-à-dire diminué) quand les
richesses non marchandes se déploient (services publics gratuits,
protection de la nature, liens humains, participation citoyenne,
autonomie individuelle et collective – auto et co-production,
autogestion…); et inversement, il peut être positivement impacté par des
effets négatifs sur ces mêmes richesses : les méga-projets
d’infrastructures (aéroports, autoroutes…) génèrent emplois, mobilités
et profits qui font augmenter le PIB, tout en artificialisant des
terres, en réduisant des territoires de vie et de liens sociaux à des No
Man’s Land invivables et désertés; les nouvelles prisons construites
par Bouygues et les techniques sécuritaires (notamment les caméras de
vidéo surveillance en plein essor) génèrent un véritable business qui
profite au PIB, provoquant dans le même temps une surenchère politique
et médiatique du discours sécuritaire qui diffuse la méfiance entre les
gens et affaiblit le lien social et la participation citoyenne… il y a
des milliers d’exemples de cette incroyable capacité du néo-libéralisme
actuel à créer de nouveaux problèmes (inutiles) pour simplement créer de
nouveaux marchés qui font gonfler le PIB… au détriment de tout le
reste.
Le PIB ignore donc ce que les économistes appellent « les externalités« ;
si c’était le cas, la valeur du service rendu par le pétrolier par
exemple serait diminuée du coût des réparations des dommages consécutifs
à son naufrage (marée noire, intoxication, perte de biodiversité…). A
travers le PIB, les comptes de la nation ne recensent que des flux (production, dépenses ou revenus courants) et non des stocks de richesse, et ignore ce qu’il advient des patrimoines naturels et immatériels.
Historique de cette lutte :
Créé après la Seconde Guerre mondiale dans la
comptabilité nationale, le PIB est remis en cause dès les années 1970,
par exemple, avec Nordhaus et Tobin (1973) et le Club de Rome (voir
Meadows et al. 1972). Ce mouvement critique est initialement porté par
le monde académique et associatif, mais il a ensuite gagné les grandes
institutions comme l’ONU qui créé l’Indice de Développement Humain (IDH, plus englobant que le PIB) en 1990.
En 2007, l’OCDE a réuni un ambitieux Forum mondial sur le thème Comment mesurer et favoriser le progrès des sociétés, rapidement suivi d’une conférence internationale intitulée Au-delà du PIB : mesurer le progrès, la richesse authentique et le bien-être des nations, co-organisée par la Commission européenne, le Parlement européen, l’OCDE, le Club de Rome et le WWF.
Suivant cet élan, Nicolas Sarkozy a mis sur pied, en 2008, la
Commission sur la mesure de la performance économique et du progrès social, plus connue sous le nom de
Commission Stiglitz,dirigée
par trois économistes de renom (dont deux prix Nobel) : Joseph
Stiglitz, Amarthya Sen, et Jean-Paul Fitoussi. Le rapport est rendu à
l’été 2009 (disponible en ligne:
http://www.stiglitz-sen-fitoussi.fr/fr/index.htm)
Extrait de ce rapport, p 20 : « La Commission
estime que loin de clore le débat, son rapport ne fait que l’ouvrir (…),
qu’un débat de fond sur les questions soulevées par son rapport et sur
ses recommandations offrira une occasion importante d’aborder les
valeurs sociétales auxquelles nous attachons du prix et de déterminer
dans quelle mesure nous agissons réellement en faveur de ce qui importe ».
Un Forum pour d’Autres Indicateurs de Richesse(FAIR)
est créé en 2008 pour assurer le suivi citoyen du travail de la
commission Stiglitz; il émane d’académiques issus de disciplines
diverses, de représentants syndicaux et de membres de la société civile.
Voici un extrait du Manifeste de FAIR (ici en intégralité:
http://www.idies.org/public/fichiers%20joints/manifesteFAIR_pour_diffusion_02122008.pdf) de décembre 2008: “
Qu’est-ce
que qu’une société « riche » ? Souhaitons-nous rester dans la posture
schizophrénique du moment, qui est marquée par l’antinomie entre l’appel
quasi consensuel à l’adoption de nouvelles pratiques de consommation
(au nom de la lutte contre le « trop » effet de serre, et plus
globalement du développement durable), et la perpétuation de références
économiques totalement contradictoires avec les enjeux sociaux et
environnementaux ? Sommes-nous prêts à admettre que le fait même
« d’être en société » nous importe, et que la cohésion de cette société
et l’équilibre des échanges en son sein constituent un bien commun qui a
une valeur ? »
En septembre 2009, le Ministère de l’écologie (MEDDEM) met en place une commission de concertation chargée d’élaborer un tableau de bord d’IDD
(Indicateurs de développement durable) et qui rassemble différents
acteurs, avec entre autres la Fondation Nicolas Hulot, les Amis de la
Terre, le WWF et les membres du collectif FAIR. Malgré des échanges
intéressants et des avancées certaines, la commission a travaillé dans
l’urgence et a manqué du temps long nécessaire à l’engagement d’un
véritable processus participatif avec la société civile. A l’occasion de
la conférence du 20 janvier 2010 portant sur les résultats de cette
réflexion, le collectif FAIR insiste sur la nécessité de constituer « une
commission permanente ouverte aux parties prenantes de la société
civile pour continuer ce travail de façon plus approfondie et réellement
participative » et de « compléter cette démarche en associant,
autant que possible, aux indicateurs retenus, des objectifs et seuils
d’alerte pour fixer les orientations et limites”.
Des pistes pour de nouveaux indicateurs
« Le collectif FAIR (Forum pour d’Autres
Indicateurs de Richesse) salue la publication du rapport de la
« Commission Stiglitz-Sen-Fitoussi » constituée à l’initiative du
Président de la République Française. Dans l’ensemble, ce rapport donne
un signal utile en ce qu’il remet en cause la domination excessive du
PIB en tant qu’indicateur servant à guider la marche de la société. Nous
considérons pour notre part que quelle que soit l’utilité statistique
que peut avoir cet indicateur, il ne doit pas servir de référence à la
décision politique car il ne fait aucune distinction entre les
productions utiles et celles qui sont néfastes et il contribue de
surcroit à occulter nombre d’écueils majeurs dont certaines destructions
environnementales à l’origine de la crise écologique et des
dérèglements climatiques auxquels est désormais exposée l’humanité toute
entière. Il est salutaire que des économistes renommés mettent en
exergue certaines déficiences de cet indicateur et expriment un
point de vue critique sur l’objectif de croissance du PIB, lequel a
fortement contribué durant plusieurs décennies à diriger nos sociétés
vers le mur auquel nous nous heurtons maintenant.«
En parallèle de ce travail de veille et de critique,
FAIR participe à la création de nouveaux indicateurs en partant du
principe suivant: la plupart des nouvelles richesses à valoriser ne sont
pas quantifiables (l’amitié, la solidarité, le désir de participer et
de prendre soin de notre patrimoine commun…) et nous devons
progressivement sortir de cette logique qui tend à tout chiffrer et
quantifier. Mais, en l’état actuel de l’emprise de la logique
quantitative sur les politiques et les institutions officielles qui
mesurent la richesse, nous sommes confrontés au fait que « tout ce qui n’est pas compté finit par ne plus compter
»; c’est pourquoi FAIR s’efforce de contribuer à la création de
nouveaux indicateurs qui ouvrent peu à peu des brèches pour penser
d’autres formes de richesse, et notamment à travers le processus même de
construction de ces indicateurs qui se veut participatif et souhaite
être un vecteur de réappropriation citoyenne de cette question de
“qu’est-ce qui compte pour nous?”.
Parmi les initiatives de création de nouveaux
indicateurs, certaines concernent des indicateurs composites, parmi
lesquels on peut citer l’IDH (indicateur de développement humain), l’IPH
(indicateur de pauvreté humaine), l’ISS (l’indicateur de santé sociale)
ou encore le Bip 40 (baromètres des inégalités et de la pauvreté); ils
agrègent différentes variables et donnent ainsi une « vue d’ensemble »,
ou un « résumé » de la situation sociale. Le recours à des tableaux de
bord, par exemple des inégalités, ou de la santé sociale sont utiles et
constituent le socle d’indicateurs composites.
Voici quelques uns de ces nouveaux indicateurs:
Le Bip 40 (baromètre des inégalités
et de la pauvreté) est un indicateur mis au point en France par un
réseau associatif, de chercheurs militants et de syndicalistes. C’est un
baromètre très riche, qui contient 60 variables, et qui permet de
montrer que les inégalités et la pauvreté ne se limitent pas à des
inégalités monétaires; il prend en compte les six dimensions
d’inégalités suivantes : logement, santé, éducation, justice, travail et
emplois et revenus. Cohabitent ainsi dans la même mesure synthétique
des variables estimant l’évolution des sorties sans qualification du
système éducatif, l’évolution du taux de surendettement des ménages,
mais aussi du taux d’ISF (impôt sur la fortune), l’évolution des
inégalités de salaire, de chômage etc. Le Bip 40 indique une forte progression des inégalités et de la pauvreté en France sur les vingt dernières années,
avec de courtes périodes de répit notables, en particulier sur la
période 1997-2000. La production de cet indicateur a été et demeure un
moyen de nourrir les débats sur l’insoutenabilité sociale du paradigme
de croissance dominant.
Dans le cadre de son projet « Indicateurs 21 », la
Région Nord- Pas de Calais a organisé une conférence citoyenne composée
de 15 citoyens sélectionnés par un organisme indépendant, qui ont rendu
leur avis publiquement pour définir de nouveaux indicateurs de
développement, complémentaires du PIB. Suite à d’autres réflexions
issues de débats organisés autour de l’interprétation du baromètre avec
des acteurs multiples (experts, spécialistes territoriaux sur les
dimensions, associations, etc.), la Région a expérimenté un nouvel indicateur de santé sociale (ISS).
Ce dernier prend en compte – outre l’accès raisonnable et équitable à
la consommation, à l’éducation, à la possibilité de se loger et de
travailler dignement – la capacité des individus à défendre leurs intérêts collectifs; et comme la “santé sociale” repose aussi sur les liens de fraternité et de solidarité,
l’ISS incorpore deux variables inédites : les relations
interindividuelles (interactions avec vos voisins et amis) et les
relations sociales plus formalisées (mesurées par le nombre d’adhésions
dans des associations).
Cet indicateur de santé socialepourrait être très
nettement amélioré, et appliqué à toutes les régions françaises
progressivement; il indique aujourd’hui qu’aucune corrélation n’unit les
niveaux de santé sociale et les niveaux de richesse économique :
les territoires les plus riches économiquement sont aussi classés parmi les plus « pauvres » à l’aune de cet indicateur. (Cf tableau dans l’article de
Florence Jany-Catrice “Des indicateurs composites de développement humain et de santé sociale : un enjeu de démocratie ?”, sur
http://www.idies.org )
> Pour présenter les différentes pistes pour
réguler et contrer le PIB, voici une synthèse de l’article « Au-delà du
PIB : réconcilier ce qui compte et ce que l’on compte », d’Isabelle
Cassiers et de Géraldine Thiry (décembre 2009, n°75 revue Regards
économiques (publication de l’Université catholique de Louvain;
http://sites.uclouvain.be/econ/Regards/Archives/RE075.pdf
Afin de pondérer le PIB par les externalités
négatives qu’il ignore dans son calcul, divers indicateurs ont été
développés. On peut les classer en trois catégories : indicateurs
monétaires, indicateurs physiques ou indicateurs mixtes (composites ou
tableaux de bord):
Les indicateurs monétaires partent du PIB et le
corrigent ou le complètent pour tenir compte des atteintes au
patrimoine. Deux modalités d’ajustement existent actuellement: les
indices synthétiques et les comptes satellites:
-
Les indices synthétiques
partent de catégories de la comptabilité nationale, en général la
consommation finale, et en déduisent le coût estimé de diverses
dégradations environnementales (pollution de l’air, de l’eau, sonore,
déforestations, dommages résultant du CO2, etc.). C’est le principe
appliqué par l’Indice de Bien-être Economique Durable (IBED) ou par l’Indice de Progrès Véritable (IPV).
-
Les comptes satellites,
quant à eux, sont conçus comme des compléments (notamment
environnementaux) à la comptabilité nationale. Le Comité d’experts des
Nations Unies sur la comptabilité économique de l’environnement, créé en
2005, travaille à l’amélioration d’une telle norme comptable, dans
l’espoir d’en faire une norme statistique internationale dès 2010. L’Epargne Nette Ajustée (ENA)
se focalise non pas sur un PIB corrigé mais sur la création ou la
destruction nette de richesse, entendue au sens large, c’est-à-dire
incluant le capital naturel et humain, la soutenabilité étant définie
comme la préservation de la richesse au sens large. Une ENA négative
serait un signal de ponction dans les patrimoines ou d’endettement
global, tout comme l’épargne négative (le recours à l’emprunt) d’un
ménage lui signale qu’il vit au-dessus de ses moyens. Cet indicateur
comporte toutefois des faiblesses. D’abord, que met-on dans la richesse
au sens large ? Et qui en décide ? Ensuite, en monétisant des variations
de patrimoines hétérogènes (naturel et intangible) et en les
additionnant, l’ENA suppose qu’ils sont substituables, ce qui revient à
s’inscrire dans une optique dite «de soutenabilité faible».
L’ENA, comme tout indicateur monétaire portant sur les patrimoines,
soulève aussi la question de l’arbitraire des prix : quel prix utiliser
pour comptabiliser des patrimoines si la valorisation par le marché est
imparfaite ou s’il n’existe pas de marché pour ceux-ci ?
C’est pour éviter de tels problèmes que certains
auteurs ont d’emblée choisi un mode de valorisation des actifs qui ne
passe pas par des prix de marché. C’est le cas des indicateurs physiques dont l’empreinte écologique (EE) est un bon exemple. Une troisième manière de prendre en compte les patrimoines est de les inclure dans des indicateurs mixtes qui
associent des mesures monétaires et non monétaires sur différents
champs : revenus, variations de patrimoines, chômage, inégalités etc.
Cette association peut se faire de manière liante, par un jeu de
pondérations, au sein d’un indice composite unique (tel l’Indice de Bien-être Economique, IBEE) ou de manière plus souple, dans un tableau de bord.
Il faudrait associer à la prise en compte des inégalités de revenus et de pouvoir d’achat une évaluation des inégalités d’accès aux
sources de qualité de vie au senslarge, que l’Indicateur de
Développement Humain ne fait pour l’instant pas. Toutefois, que les
inégalités d’accès à ces résultats n’apparaissent pas dans l’IDH est
symptomatique des nombreuses difficultés méthodologiques qui subsistent
dans l’opérationnalisation de ces questions.
Il est surprenant de lire en introduction du Rapport Stiglitz (p. 19) que «l’évaluation de la soutenabilité est complémentaire de la question du bien-être actuel ou de la performance économique et doit donc être examinée séparément. (…) Lorsque
l’on conduit une voiture, un compteur qui agrégerait en une seule
valeur la vitesse actuelle du véhicule et le niveau d’essence restant ne
serait d’aucune aide au conducteur ». Nous pensons au contraire
qu’il importe à l’automobiliste de connaître l’effet de sa vitesse sur
sa réserve d’essence, car il existe une vitesse optimale qui lui permet
de maximiser la distance parcourue, à quantité de carburant donnée. En
outre, la parabole est incomplète. S’il est bien sous entendu
que la jauge indique l’état de nos patrimoines et que le compteur de
vitesse rend compte de la croissance économique, il manque dans cette
analogie un troisième instrument : la boussole ou le GPS, qui
informerait de la direction prise, de l’orientation du «progrès» des sociétés. Selon une expression prêtée à Gandhi, «speed is irrelevant when you are moving in the wrong direction»
Est-il pertinent de partir du PIB pour le compléter
(comptes satellites, indices composites) ou le corriger (indices
synthétiques) si celui-ci est construit sur des bases qui ne peuvent pas
rendre compte des priorités de l’heure ? S’il est vrai que ce que l’on
compte oriente notre action, et si l’orientation des décennies passées
pose aujourd’hui problème, ne faut-il pas revoir les comptes à leur
racine ?
Les luttes des chômeurs et des précaires
La centralité excessive du travail
En un siècle, la durée de travail annuelle par actif
occupé a été quasiment divisée par deux, passant de 2900 heures à la fin
du 19e à 1600 heures à la fin du 20e. Mais l’intensification du travail
avec l’augmentation des cadences et des exigences de productivité a
créé dans le même temps un sentiment de surcharge de travail, tandis que
les impératifs du travail (la liste de choses à régler qui s’accumulent
constamment) ont tendance à pénètrer le temps libre et à réduire la
possibilité d’en jouir pleinement.
La centralité du travail – comme facteur de
définition des identités et de régulation des temps sociaux- est
particulièrement forte en France. Dans l’Union Européenne, les Français
sont ceux qui accordent le plus d’importance au travail: 70% le jugent
comme « très important », contre 40% des Danois ou Britanniques, selon
le « European Value Survey » de 1999; 65% des Français souhaitent que le
travail occupe moins de place dans leur vie, contre 20% des Portugais,
et un quart Italiens et Finlandais. Selon le « European Social Survey »
de 2002, 28% des Français estiment que leur emploi les empêche
« toujours » ou « souvent » de consacrer le temps qu’ils souhaiteraient à
leur famille: c’est le taux le plus élevé en Europe.
Selon l’enquête de l’INSEE de 2003 « Histoire de vie et construction des identités »: « Finalement,
seuls 16% de la population considèrent le travail comme important et
sont en même temps satisfaits de leur emploi: il s’agit surtout de
cadres, de personnes sans enfant et d’indépendants. A l’autre extrémité,
40% le considèrent comme peu important et sont insatisfaits de leur
travail: cela concerne surtout des ouvriers, des employés et des femmes
avec enfants« (Le travail, non merci ! Camille Dorval, Les petits matins, 2011.p 121).
En 1981, Dominique Schnapper publie son étude
« L’épreuve du chômage » et distingue trois profils type d’expériences
du chômage: le « chômage total » (humiliation, ennui, désocialisation;
les personnes n’attendent qu’une chose: retrouver un emploi); c’est
l’état que vivent la plupart des chômeurs, qui sont aussi ceux qui
valorisent le plus le travail en réaction à l’expérience destructurante
qu’ils vivent hors du travail. Le « chômage différé » concerne surtout
les cadres qui prennent ce temps comme temps de formation, de
mûrissement de nouveaux projets, de rebond; le « chômage inversé »
concerne quant à lui notamment les jeunes employés, les femmes, les
« rentiers provisoires » (période de vacances provisoire) et les
« artistes » (activité créatrice). Dans ces deux derniers cas, la
période de chômage est donc mise à profit, c’est une période extrêmement
active de loisirs ou de créativité ».
Depuis la fin des années 1980, et surtout dans les
années 1990, ont émergé des mouvements de chômeurs qui s’élèvent contre
la culpabilisation que la société du “culte du travail” veut leur faire
endosser, tout en faisant une critique de la centralité du travail dans
nos sociétés.
Voici cinq initiatives qui montrent bien le retournement de valeurs auquel appellent ces mouvements:
- Le Manifeste des Chômeurs heureux
Rédigé et diffusé à Berlin en 1996, ce manifeste est
puissant de lucidité et refuse de donner une once de prise à la bonne
morale qui culpabilise les chômeurs au lieu d’analyser et de critiquer
les fondements d’un système économique qui a besoin du chômage pour
prospérer.
Voici un extrait de ce manifeste, qui fait bien le
lien entre la lutte pour libérer le temps et la lutte pour créer de
nouvelles richesses:
“Si le chômeur est malheureux, c’est aussi parce que le travail est la seule valeur sociale qu’il connaisse.
Il n’a plus rien à faire, il s’ennuie, il ne connait plus personne,
parce que le travail est souvent le seul lien social disponible. La
chose vaut aussi pour les retraités d’ailleurs. Il est bien clair que la
cause d’une telle misère existentielle est à chercher dans le travail,
et non dans le chômage en lui-même. Même lorsqu’il ne fait rien de spécial, le Chômeur Heureux crée de nouvelles valeurs sociales.
Il développe des contacts avec tout un tas de gens sympathiques. Il est
même prêt à animer des stages de resocialisation pour travailleurs
licenciés.
Car tous les chômeurs disposent en tout cas d’une chose inestimable : du temps. Voilà qui pourrait constituer une chance historique, la possibilité de mener une vie pleine de sens, de joie et de raison. On peut définir notre but comme une reconquête du temps.
Nous sommes donc tout sauf inactifs, alors que la soi-disant
« population active » ne peut qu’obéir passivement au destin et aux
ordres de ses supérieurs hiérar-chiques. Et c’est bien parce que nous sommes actifs que nous n’avons pas le temps de travailler.”
En lire des extraits sur cette page de mon blog:
ici
- Le Manifeste contre le travail
En 1999, le groupe allemand Krisis crée en 1986,
décide pour la première fois de synthétiser ses réflexions théoriques en
rupture avec les marxismes dans un livre à large diffusion intitulé
« Manifeste contre le travail ». Ses auteurs (avec entres autres:
Norbert Trenkle, Robert Kurz et Ernst Lohoff) font partie de la mouvance
internationale que l’on appelle en Allemagne la « wertkritik »
(critique de la valeur), où l’on retrouve des auteurs comme Moishe
Postone, Anselm Jappe, Roswitha Scholz, Claus Peter Orlieb, Franz
Schandl, Gérard Briche, etc., mais aussi des groupes comme Principia
Dialectica (Londres), Critica Radical (Brésil), Krisis (Allemagne),
Chicago Political Workshop (Etats-Unis), Exit (Allemagne), Streifzüge
(Autriche), Groupe 180°… Cette « wertkritik » vise « une réinterprétation de la théorie critique de Marx »
comme l’a appelée Postone; après le Manifeste du parti communiste,
après ce qui tient lieu de manifeste situationniste avec » De la misère
en milieu étudiant « , cette mouvance trouve dans le « Manifeste contre
le travail » son texte phare, en soutenant qu’il ne faut pas libérer le
travail du capital comme le pensent depuis le 19e siècle la gauche,
l’extrême-gauche et une large frange de l’anarchisme, mais se libérer carrément du travail.
André Gorz en France appréciait les réflexions de ce groupe. On peut
retrouver une présentation plus approfondie de ce courant au public
français dans le livre d’Anselm Jappe, Les Aventures de la marchandise. Pour une nouvelle critique de la valeur (Denoël, 2003) ou dans Moishe Postone, Temps, travail et domination sociale (Mille et une nuits, 2009).
En lire des extraits sur cette page de mon blog :
ici
- AC ! Réseau – Agir contre le chômage et la précarité
AC ! – Agir ensemble contre le Chômage et la
précarité – est un réseau de collectifs locaux, un mouvement rassemblant
chômeurs et chômeuses, précaires, salarié-e-s et organisations
solidaires en lutte contre le chômage et contre la précarisation de
l’ensemble de la société.
AC ! s’est constitué autour d’un appel lancé en
octobre 1993par des syndicalistes, des militant-e-s associatifs et des
chercheurs, pour en finir avec le chômage, pour lutter contre la
résignation, pour une autre répartition du temps de travail et des
richesses.
Par les « marches contre le chômage »
qui durant plusieurs semaines, au printemps 1994, sillonnèrent la
France (plus de 30 000 personnes à l’arrivée, à Paris), par ses
initiatives lors des « Marches Européennes » qui sillonnèrent l’Europe
(plus de 50 000 personnes à l’arrivée à Amsterdam en juin 1997, autant à
Cologne en mai 1999 lors du Sommet Européen), par ses manifestations
nationales contre la réforme de l’assurance-chômage en mars 1996, par le
mouvement d’occupations (hiver 1997/98), par ses actions symboliques
(occupations, réquisitions d’emplois, de nourriture), AC ! s’est fait un
nom.
«Victimes de la précarisation du travail et de la vie, nous refusons la culpabilisation.
Ni marchandises à la disposition du patronat, ni
voués à la soupe populaire, nous sommes des individus différenciés, avec
nos projets et nos désirs.
AC ! se prononce pour un réel partage du temps de
travail avec la création de nouveaux emplois stables et socialement
utiles, pour un renouveau des services publics et s’associe aux luttes
contre les licenciements.
AC ! n’accepte pas que la France, un des pays les
plus riches au monde, laisse de côté un quart de la population
contrainte à mendier auprès des services sociaux. Si la société ne peut
ou ne veut donner du travail, alors qu’elle donne la possibilité de
vivre. Nous affirmons qu’avec ou sans emploi, chacun-e doit pouvoir
bénéficier d’un revenu au moins équivalent au SMIC mensuel afin de
satisfaire ses besoins sociaux fondamentaux : se nourrir, se loger, se
soigner, s’éduquer, se déplacer, se divertir.
Nous agissons pour :
La réduction massive du temps de travail : 32 h tout de suite,
sans baisse de pouvoir d’achat, sans flexibilité ni précarisation ; Un
revenu décent, individuel, pour toutes et tous : aucune allocation,
aucun revenu en dessous du SMIC ; La reconnaissance des organisations de
chômeurs et de précaires partout où se décide leur sort (Assédic, ANPE,
CAF …). »
- Le Collectif de résistance au Travail Obligatoire (RTO), créé
en 2005, agit aussi pour solidariser les chômeurs entre eux et faire de
la lutte contre l’étiquetage et la culpabilisation un combat collectif.
L’article (du 4 octobre 2005) ironique qui annonce leur création donne
bien le ton:
“L’année dernière pas une semaine sans nouvelles
de ces dangereux précaires et chômeurs qui occupaient sans discernement,
non seulement l’entreprise de Laurence Parisot ou les Assedic, mais
aussi toutes ces utiles associations et institutions qui réeduquent
utilement tous ces demandeurs d’emploi qui n’arrivent toujours pas à se
lever le matin.
Ces précaires rendus agressifs par la misère ( et
disons le franchement par des théories absurdes sur la lutte des
classes ) n’hésitaient pas à s’en prendre aux entreprises d’insertion ou
de valeureux patrons sociaux donnent du boulot approprié aux exclus (
nettoyage, bâtiment, restauration ..), en exigeant en échange de
l’argent public.
Ils multipliaient les actions contre la politique
d’insertion de la Mairie de Paris, qui pourtant montrait son intérêt
pour les Rmistes en les convoquant massivement pour leur proposer de
motivants contrats d’avenir, 35h payées 26, en n’hésitant pas à
subventionner des entreprises d’intérim pour leur trouver des emplois
stables.
C’est évidemment avec un soulagement certain
qu’élus, travailleurs sociaux et entrepreneurs citoyens voient leurs
messages se raréfier depuis septembre. Certains , allant un peu vite en
besogne les pensaient enfin convertis au joies du CNE ou retournés à des
formes de militantisme plus raisonnables ( collectifs pour le non , CGT
privés d’emploi, Fondation Copernic par exemple).
Malheureusement, il semble que dans l’ombre, ces
dangereux individus fomentaient en fait de nouveaux complots contre
l’emploi : ces cas sociaux incurables ont désormais leur site (www.collectif-rto.org)
ou ces faibles d’esprit que sont la majorité des précaires peuvent
consulter leurs textes et qui sait en venir à refuser un CI-RMA ou
monter une occupation collective dès qu’une radiation destinée à les
ramener à la raison leur coupe momentanément tout revenu pour leur
apprendre à vivre.
Et s’ils n’étaient que sur internet ! Déjà
certains témoignages concordants d’élus de la mairie de Paris et
d’associations d’insertion signalaient des prises à parti publiques,
dont ils sont coutumiers, les lâches , lors de manifestations ou tout
militant de bon sens se contente de marcher tranquillement d’un point à
un autre.
Début septembre, l’inser-asaf, association
d’insertion ayant pignon sur rue (inaugurée par la camarade Francine
Bavay) se plaignait d’une occupation de leurs locaux, concernant un
rmiste sdf qui avait le culot de réclamer un logement avant d’aller
bosser. Apparemment ils avaient reçu l’appui d’autres chômeurs venus
d’autres départements, ces mêmes chômeurs qui pleurnichent dès qu’on
leur impose de déménager pour aller faire maçon ou cuisinier à 600
bornes de chez eux
De source sûre, une vingtaine de ces gueux s’en
sont ce week-end pris à la culture, n’hésitant pas à troubler, ces
barbares, ces ignares, plusieurs attractions de la Nuit Blanche :
uniquement préoccupés de leur nombril, ils réclamaient que le budget de
la Nuit Blanche, de Paris Plage et plus généralement du grand spectacle
culturel parisien soit reversé aux les pauvres. Ces égoistes,
anti-patriotes probablement subventionnés par Londres, ont été jusqu’à
se réjouir publiquement de l’échec de notre candidature aux Jeux
Olympiques.
La majorité de nos citoyens tournés vers
l’avenir, pleinement participants à notre société aux valeurs
renouvelées grâce à notre gouvernement et à son opposition responsable,
ne peuvent laisser impunément des gens qui voudraient nous conduire au
chaos en défendant la gratuité, l’activité libre et choisie et la fin de
toutes les mesures de contrôle des chômeurs, continuer leurs
provocations. Ils poussent l’arrogance jusqu’à faire des réunions
publiques tous les jeudis à 18h au 23, bis rue Mathis, métro Crimée .
Nous qui payons leur RMI avec nos impôts, ne les
laissons pas se rire de nous en profitant de l’assistance financière que
nous leur accordons pour faire ce que l’on peut qualifier sans
exagération du terrorisme social. Rendez -vous dès ce jeudi pour leur
donner une bonne leçon ! Des citoyens outrés et évidemment anonymes.”
- La première grève des chômeurs et des précaires, le 3 mai 2010. Plusieurs
collectifs de demandeurs d’emploi et de précaires ont manifesté le 3
mai 2010 dans une dizaine de villes de France (Rennes, Nantes, Tours,
Montpellier, Lille…). A Paris, des manifestants ont envahi le siège de
Pôle emploi, munis de pancartes « Bienvenue à Police emploi » ou
« Plutôt chômeur que manager! ».
Lire ici en ligne : Appel de la coordination des collectifs de chômeurs et précaires :
http://www.ac.eu.org/spip.php?article2071
La réduction du temps de travail
Le bilan des 35 heures est loin d’être la catastrophe
dont parlent ses détracteurs: il a tout d’abord permis la création
nette d’environ 350 000 emplois; selon l’enquête « RTT et modes de vie »
de la Dares fin 2000 et début 2001: 59% des salariés estiment que le
passage à la RTT a eu un effet positif sur leurs conditions de vie; un
tiers pense qu’il a permis une meilleure conciliation entre la vie
professionnelle et familiale, les activités s’étant le plus épanouies
concernant le champ des nouvelles richesses: le lien aux enfants, le
repos, le bricolage et les découvertes et sorties culturelles.
L’échec relatif des 35 heures est surtout dû à
l’intensification du travail et à la flexibilisation des horaires dont
ont profité les employeurs qui n’ont pas joué le jeu; en effet, environ
un tiers des entreprises industrielles ont eu recours à des accords de
modulation lors de la mise en place de la RTT, qui ont permis de varier
les horaires d’une semaine à l’autre.48 % salariés estiment ainsi qu’on
exige d’eux une polyvalence accrue depuis la RTT, et 42% disent avoir
moins de temps pour exécuter les mêmes tâches, tandis que 32% se sentent
plus stressés qu’avant. L’erreur fatale des politiques est de ne pas
avoir accompagné les 35 heures de règles sur les conditions de travail,
qui auraient notamment empêché cette surenchère à la flexibilisation et à
l’intensification du travail.
Alors qu’il y a quatre millions de chômeurs en
France, et 19 millions d’actifs à temps plein qui travaillent en moyenne
39,4 heures par semaine, un mouvement général vers la semaine de quatre
jours (32 heures) permettrait, selon une étude du Ministère du travail,
de créer 1,6 millions d’emplois en CDI. Les SCOP sont les premières
entreprises à avoir impulsé la réduction du temps de travail;
aujourd’hui, 400 entreprises en France sont passées à la semaine 4
jours, en créant 10 à 15% d’emplois nouveaux en CDI sans augmenter leur
coût de production et sans baisser les salaires. Ces entreprises
pionnières sont diverses, de l’antenne Mami Nova de Brest ou Fleury
Michon, à des centaines de PME (auto-école à Rouen, un fabricant de
logiciels à Chambéry, un charpentier près de Bordeaux, l’association
Peuples solidaires…). L’Etat pourrait très bien encourager par des
mesures d’exonérations fiscales cette transition véritablement efficace
pour faire disparaître le chômage : outre la création de milliers
d’emplois au sein des entreprises existantes, cette transition pourrait
faire émerger de nouveaux emplois autour du temps libre, dans le secteur
culturel ou sportif par exemple; sans compter, ceux, par milliers, qui
pourront être créés dans les champs de l’agriculture agroécologique, des
technologies appropriées, du recyclage, des énergies renouvelables ou
du démantèlement des centrales nucléaires…
Les partisans du Revenu minimum universel (RMU)
Dès le milieu du 20e siècle, l’économiste anglais
James Meade, lauréat du prix Nobel de l’économie, soutient l’idée d’un
revenu d’existence qui serait attribué à tout homme « parce qu’il existe et non pour exister« .
Il propose le « dividende social” qui consisterait à redistribuer la
moitié des dividendes versés par les entreprises à leurs propriétaires.
Selon le philosophe et économiste belge Philippe Van
Parijs, l’efficacité croissante des moyens de production restreint la
quantité de travail humain nécessaire; il est donc normal que l’on
travaille moins. Les ressources naturelles étant limitées, chacun doit
avoir droit à une part égale de ces ressources; la traduction monétaire
de ce partage équitable se fait via l’allocation universelle.
L’économiste Baptiste Mylondo expose dans son livre Un revenu pour tous. Précis d’utopie réaliste (Utopia,
2010) comment il serait possible de verser à chaque individu un revenu
minimum (à hauteur de 750 euros par adulte et 250 euros par enfant
mineur). Cela coûterait au total 380 Milliards d’euros par an (pour se
donner une idée: le budget annuel total de l’Etat aujourd’hui: environ
285 M). Le financement se ferait ainsi:
- Pour un tiers (121 M): par les transferts de la
protection sociale et de l’Etat : suppression des allocations non
contributives (48 M) + transfert du budget de la protection sociale
(hors prestation de santé directe) (73 M). Seraient concernés:
allocations familiales, logement, minima sociaux, les bourses scolaires,
et la politique de l’emploi – contrats aidés, exonérations de
cotisations…- qui ne seraient plus nécessaires avec la disparition du
chômage). Mais cela ne toucherait pas les prestations assurantielles
liées à une certaine durée de cotisations type allocations chômage ou
pensions de retraite.
- Les 2/3 restant (environ 260 M): augmentation de la
contribution sociale généralisée (CSG) d’environ 35 points pour
atteindre un taux d’imposition moyen de 47% si on additionne CSG et
contribution au remboursement de la dette sociale (CRDS) + plus grande
progressivité de l’impôt sur le revenu (ceux qui sont les plus précaires
actuellement payeront moins d’impôts qu’actuellement, tandis que les
plus riches en paieront plus).
Or, aujourd’hui la CSG et la CRDS rapportent 90 M, et
l’impôt sur le revenu seulement 50 M. Certains critiques de
l’allocation universelle proposée par B. Mylondo pensent que leur
augmentation importante risquerait de faire fuir de nombreux
contribuables aisés. Mais son avantage essentiel est d’être réellement universel
et de rompre avec la “religion du travail” et les jugements moraux qui
l’accompagnent; ce qu’il apporte de révolutionnaire, c’est le temps et la disponibilité d’esprit ainsi libérés par la sécurité de recevoir chaque mois de quoi vivre décemment, sans plus se culpabiliser parce que c’est devenu un choix reconnu
(tout le monde a droit à ce revenu; ceux qui le refusent ont choisi
d’utiliser leur temps sur le marché du travail tel qu’il est
actuellement, plutôt que d’utiliser leur temps à autre chose, dans un
autre champ créatif hors de ce marché). Et ce temps et cette
disponibilité libérés sont infiniment précieux pour penser collectivement ces nouvelles richesses et valeurs de société que nous essayons de faire émerger…
D’autres propositions (Yoland Bresson, Philippe Van
parijs, Chantal Euzéby) tablent plutôt sur un revenu de 467 Euros par
mois (comme le montant du RSA socle); mais la faiblesse de ce revenu
obligerait à travailler pour le compléter, entrainant des risques de
précarisation du marché du travail (pression sur les salaires favorable
aux employeurs). Pour le philosophe André Gorz, un revenu trop bas est
équivalent à une « subvention aux employeurs » et “ le « revenu social
de base doit (…) permettre de refuser le travail et les conditions de
travail « indignes » et il doit se situer dans un environnement social
qui permette à chacun d’arbitrer en permanence entre la valeur d’usage
de son temps et sa valeur d’échange ». (p 137 de Misères du présent, Richesse du possible,
1997). Le RMU permet ainsi de rétablir un rapport de force juste avec
le patronat, ce que les syndicats n’arrivent plus à faire.
La proposition de l’économiste Denis Clerc (fondateur
d’Alternatives économiques) est également intéressante : un revenu
mensuel minimal garanti à tous ceux qui n’ont pas de revenus (même les
jeunes de moins de 25 ans) de 700 euros; et le versement d’un complément
pour atteindre 1500 euros, pour ceux qui gagnent des revenus par
ailleurs ( salaires, prestations familiales, retraites…). Ce revenu
permettrait aux 10% les plus pauvres de la population de disposer de 250
euros par mois en plus; les 10% suivants de 200 euros…Sa mise ne place
coûterait une trentaine de Milliards d’euros qui pourraient être
financés par l’augmentation fiscale sur le cinquième de la population le
plus aisé. Bien qu’elle ne permette pas le “renversement de valeurs”
radical que permet le caractère universel du RMU proposé par Mylondo,
cette proposition permet au moins plus d’équité.
Et pour casser le mythe, la peur bleue selon laquelle
si on laissait tout d’un coup le choix aux gens de travailler ou pas,
ils ne feraient plus rien du tout, voici un lien vers un documentaire
très intéressant réalisé sur le RMU:
Il montre notamment qu’une majorité de gens disent
qu’ils continueraient à travailler même s’ils recevaient un Revenu de
base, alors que 80% s’imaginent que les autres arrêteraient de
travailler – peut-être même, happés par la pente de la grosse
fainéantise, finiraient par fusionner avec leur canapé !
La proposition du RMU est vigoureusement optimiste:
s’ils se sentent bien, qu’ils ne sont pas poussés à se refermer sur
eux-mêmes par toutes les frustrations que notre société néo-libérale
actuelle génère (injonctions à être et paraître dans la société de
consommation, à s’insérer coûte que coûte sur un marché du travail, même
en perdant sa dignité…), les gens ont plutôt tendance, pour leur propre
bonheur même, à être créatifs et à vouloir se lier pour construire
ensemble. L’atmosphère de solidarité et l’invitation enthousiaste à «
prendre soin ensemble » (de notre Terre, du lien social et
intergénérationnel, de l’avenir de nos enfants dans un monde vivable…)
devraient communiquer du désir de participer autour de ces nouvelles
valeurs alternatives à notre monde actuel – qui, lui, ne fait
qu’encourager la pente de la désintégration, de laisser-aller, de
l’irresponsabilité…
Les initiatives concrètes pour ralentir collectivement
Le mouvement des « Cittaslow » ou Villes lentes est
né en 1999 au Nord de l’Italie. S’inspirant du mouvement « Slow Food »,
qui invite à manger sain et plus lentement en privilégiant la qualité
plutôt la « malbouffe », les Villes lentes veulent favoriser
l’appropriation de la ville par ses habitants en sortant de la frénésie
et du gigantisme. Elles laissent par ailleurs plus d’espaces de
respiration pour les usagers de la ville. Voici quelques unes des
principales recommandations du Manifeste des Villes lentes : limiter le
nombre d’habitants en fonction des capacités du « bassin de vie » et
pour garder un espace de communication sociale à taille humaine (au
maximum 60 000 habitants) ; réduire les consommations énergétiques et
valoriser les technologies écologiques ; étendre les espaces verts et de
loisirs ; favoriser les transports en commun et non polluants, tout en
multipliant les zones piétonnes ; développer des services de
proximité et des structures de démocratie participative. Le mouvement
des Villes lentes forme actuellement un réseau international de près de
140 villes dans 21 pays. Segonzac, petite ville de 2 300 habitants en
Charente, est la première ville française à avoir sauté le pas en 2010,
en prévoyant entre autres l’ouverture d’un parc public, le retour du
petit commerce, la réhabilitation d’un réseau de ruelles piétonnes et
cyclables, la structuration d’un marché de producteurs locaux, la
création de jardins partagés et la transformation de la station
d’épuration en bassins filtrants naturels.
D’autres initiatives citoyennes nous invitent à
ralentir, telles que la « Grande Pause » lancée dans l’esprit de l’An 01
(« On arrête tout, on réfléchit et c’est pas triste ») par, entre
autres, Patrick Viveret… que l’on retrouve dans le réseau pour les
« nouvelles richesses » avec son rapport phare pour ce champ de
réflexion «
Reconsidérer la richesse ».
Alice Médigue
http://jalonsaujardin.wordpress.com
Voir la page de mon blog: les «
ressources pour ralentir »
nous sommes arrivés à un point de notre évolution où il faut distinguer la notion de contribution à la société (qui est presque aussi nécessaire que manger boire et dormir) et la notion de « travail ».
nous sommes entrain de découvrir que le vivre ensemble se divise en 5 espace : le marchand et le régalien soumis aux règles du « travail / emploi » tel que nous le connaissons. les autres espaces (associatif, pré-marchand et familial) s’inscrivent dans un cycle de production plus lent et néanmoins indispensable.
Ainsi, la vie socioéconomique est composée de 2 sphères : le « haut » qui s’occupe du quotidien et le « bas » qui s’occupe de façonner le terreau où se développent les sous-jacents (la culture, les savoirs, les talents, les idées nouvelles …).
Notre paradigme actuel a sur développé la gouvernance du haut. Il faut mettre en place un nouveau paradigme qui irrigue en moyens sociaux et économiques le bas.
Ceci amène à repenser le système démocratique et ses institutions.
Pour cela, il faut lancer des expérimentations en vrai grandeur (http://www.vitacogita.fr/fr/ebook/2800000000790/mieux-que-la-r%C3%A9industrialisation ).
Le revenu de base devient une évidence. Nous y sommes déjà : 38 % des allemands vivent d’un revenu de réversion ! Alors, autant prendre cette donnée comme une réalité et simplifions la tringlerie qui distribue et contrôle ces usines à gaz !
Si nous ne le faisons pas, nous serons définitivement submergés par les pays « émergeants » qui s’inventent la démocratie durable du 21ème siècle …
Par Geneviève Bouché (@Bouche2001) le 28 février 2012
à 11 h 30 min