mardi 9 juillet 2013

La fin du travail...

La chambre de commerce de Washington, en avril 2013

L'envolée des petits boulots











Après des années à la Ligue de l'enseignement en Meurthe-et-Moselle, Paul Brosse avait décroché un poste de salarié contractuel de la ville de Saint-Etienne qui n'a pas été renouvelé. Fin 2011, il s'est retrouvé au chômage à l'âge de 50 ans. "Mon profil de senior avait peu de chances de convenir aux employeurs, mieux valait tenter de créer mon propre emploi", explique l'autoentrepreneur, qui a tenu à être présenté sous un nom d'emprunt.
Les petits boulots à la rescousse de l'emploi ! Autoentrepreneurs, stages, temps partiel, dans la lutte contre le chômage, toutes les formes de travail sont les bienvenues, même les plus précaires. Tandis que les dirigeants européens se sont entendus, le 28 juin, sur un plan antichômage des jeunes, en France et dans le reste de l'Europe, en Allemagne, en Espagne ou même aux Etats-Unis, se multiplient les "mini-jobs", toute forme de travail en free-lance, en "cloud working" (mode de travail selon lequel l'essentiel de la collaboration s'effectue en ligne), payés en honoraires, en droits d'auteur, à la tâche, ou juste indemnisés pour ce qui concerne les stagiaires, à côté des traditionnels salariés en contrat à durée indéterminée (CDI).
En Allemagne, IBM fait de plus en plus appel à des indépendants. Aux Etats-Unis, les "free-lance" sont si nombreux qu'une mutuelle a été créée pour prendre en charge leur protection sociale. En Espagne, les temps partiels investissent le marché du travail et ralentissent la hausse du chômage. En France, les exemples sont légion d'ex-salariés qui vendent leurs compétences en direct sur Internet, sur Seniorsavotreservice. com par exemple. D'autres, comme Paul Brosse, s'essaient à l'autoentreprise pour garantir leur propre emploi. "Entre 2009 et 2012, la part des ex-chômeurs parmi les autoentrepreneurs est ainsi passée de 35 % à 42 %. Depuis début 2013, il y a 1 200 personnes qui se déclarent autoentrepreneurs chaque jour ouvrable, dont 50 % de demandeurs d'emploi, la majorité dans le secteur des services", indique François Hurel, fondateur de l'Union des autoentrepreneurs.
LE PREMIER EMPLOI À 27 ANS
La France compte 3,2 millions de chômeurs en catégorie A. L'entrée ou le maintien sur le marché du travail est difficile, de plus en plus pour les seniors et traditionnellement pour les jeunes : l'âge moyen d'accès à un premier emploi stable est passé de 20 à 27 ans entre 1975 et aujourd'hui. En moyenne, les jeunes diplômés mettent plus de trois ans à intégrer le marché du travail avec un contrat de plus de six mois. Trois ans de galères et de petits boulots !
On comprend que les formes de travail alternatives au salariat, qu'elles soient choisies ou subies, fassent florès. Mais sont-elles susceptibles d'influer sur la courbe du chômage ? Pour l'économiste Etienne Wasmer, professeur à Sciences Po Paris, la réponse est oui, car "cela permet de susciter plus d'activité, mais sous réserve que ces dispositifs soient bien conçus, c'est-à-dire partiellement cumulables avec des aides publiques comme le revenu de solidarité active ou l'allocation d'aide au retour à l'emploi, par exemple. Sinon cela ne sera pas très incitatif pour l'activité réduite."
Une agence de Pôle Emploi à Dijon, en avril 2009.
En effet, après un an d'activité, M. Brosse a décidé d'arrêter son autoentreprise, car il risquait de perdre son allocation spécifique de solidarité de 470 euros, alors que son autoentreprise ne lui rapportait encore qu'entre 300 et 500 euros par mois. "Ne serait-il pas judicieux d'accorder aux seniors bénéficiaires de l'allocation un système de régulation entre ce versement et les revenus de l'entreprise permettant de soutenir l'esprit d'entrepreneur, même à une échelle modeste ?", suggère celui qui va redevenir chômeur presque malgré lui.
Pour la jeune Géraldine Rault, l'autoentreprise a en revanche été la bonne réponse au chômage. Ancienne attachée de presse, elle s'est lancée en 2011 dans la création de bijoux – un rêve d'enfance – avec Blooming Day. "Avant cela, j'étais chargée de projet dans les métiers d'art, dans le cadre d'un contrat d'accès à l'emploi. Cela a duré vingt-quatre mois. Ils m'ont formée mais pas embauchée", raconte-t-elle. Ce qui l'a décidée à se lancer. Deux ans après le début de l'aventure, Mme Rault avoue "ne pas rouler sur l'or", mais apprécie cette nouvelle liberté. "On travaille pour soi, c'est valorisant, même si pour la retraite ce n'est pas très avantageux, mais c'est dans longtemps", explique cette jeune femme de 29 ans.
MOINDRE PROTECTION SOCIALE
Faire le "choix" de "petits emplois" à temps partiel ou autres emplois atypiques est indissociable d'une moindre protection sociale. Un nombre insuffisant d'heures de travail dans l'année peut, par exemple, empêcher la validation de trimestres de retraite. Géraldine Rault comme Paul Brosse sont donc bien sortis des statistiques du chômage, au moins provisoirement. Comme les mini-jobs allemands, le régime des autoentrepreneurs est donc susceptible de faire baisser les chiffres du chômage, voire d'en inverser la courbe. A contrario, "sans ces emplois atypiques, il n'y aurait pas davantage de chômage", affirme Mathieu Plane, économiste à l'Observatoire français des conjonctures économiques. L'explication de ce paradoxe est que l'autoentreprise, les mini-jobs, comme le temps partiel sont des formes de travail partagé.
Ni l'autoentreprise ni les mini-jobs ne créent réellement d'activité. En France, "l'activité des autoentrepreneurs ne représente que 0,2 % du PIB", indique M. Plane. En Allemagne, alors que l'hôtellerie et la restauration, où l'on manque de bras, concentrent le plus grand nombre de mini-jobs (34 %), "le nombre d'heures travaillées dans ce secteur n'a pas progressé. Il n'y a donc pas eu création d'activité, mais partage du travail", indique Philippe Askenazy, économiste et chroniqueur du Monde. Ce que confirme la réduction de la durée annuelle de travail en Allemagne : "Avec un taux de temps partiel à 30 %, contre 18 % en France, la durée annuelle moyenne du travail salarié a tellement baissé qu'elle est aujourd'hui légèrement inférieure à celle de la France", remarque M. Plane.
En revanche, ces emplois atypiques apportent une vraie réponse en termes de maintien en activité. Ce qui n'est pas négligeable, particulièrement lorsque le chômage s'installe durablement, pour réduire au maximum l'éloignement du marché du travail. "La proximité d'une personne à l'emploi est un élément favorable pour augmenter ses chances d'accéder à l'emploi stable à plein-temps", rappelle l'économiste et spécialiste de l'emploi Yannick L'Horty.
Le choix de l'activité à tout prix est évidemment celui que font les jeunes qui enchaînent petits boulots, stages et CDD dans la perspective d'accéder au marché du travail. Le stage est devenu un passage obligé sans lequel on n'accède pas au saint Graal : l'"emploi décent" au sens de l'Organisation internationale du travail (travail, rémunération et protection sociale). "C'est hyper important de  faire des stages, affirme Mylène Carpentier, 23 ans, étudiante de troisième année, qui passe trois mois dans une agence de graphisme. Les  Arts Déco, ce n'est pas très professionnalisant. Là, on apprend le rapport avec le client. Ceux qui réussissent le mieux à la sortie sont ceux qui ont la meilleure expérience", dit-elle. Même si un seul stage est obligatoire pendant le cursus, Mylène Carpentier consacre chaque été à une nouvelle expérience. Ces dernières années, la pratique des stages a explosé : "Leur nombre en milieu professionnel est estimé aujourd'hui à environ 1,6 million par an, contre 600 000 en 2006", selon le dernier rapport du Conseil économique, social et environnemental.
Les entreprises du CAC 40 privilégient le stage, voire l'alternance, pour identifier les futures recrues. Mais le stage est aussi source d'abus.


LE STAGE, SOURCE D'ABUS
Les entreprises du CAC 40 privilégient le stage, voire l'alternance, pour identifier les futures recrues. A l'image de BNP Paribas, où Jean-Sébastien Calvao a été embauché en 2012. "BNP Paribas nous a fait une présentation de son programme d'alternance, en précisant qu'il était envisageable d'obtenir un CDI à la fin. En septembre, j'ai commencé à l'agence d'Argenteuil où j'ai assisté les différents conseillers un an. J'ai été embauché comme chargé d'affaires pour les professionnels dans l'agence de Deuil-la-Barre dans le Val-d'Oise", dit ce diplômé de master de l'université de Villeteneuse.
Mais le stage est aussi source d'abus, notamment dans certains secteurs : "Dans le luxe ou la banque, on peut facilement enchaîner cinq ou six stages sans rien obtenir", affirme Julien Bayou, de Génération précaire. Les entreprises savent opportunément se servir de cette main-d'oeuvre peu onéreuse, qui exécute une mission souvent proche d'un premier emploi. Tarif de base : le tiers du smic. "Je suis payé 436,05 euros par mois, mais j'ai la chance d'être chez mes parents. Sinon, ce serait plus difficile", raconte Nicolas Dupont, 24 ans, étudiant au sein de Skema, une école de commerce, qui demande aux élèves de consacrer dix mois de leur scolarité à des stages. De fait, après avoir été cinq mois assistant chef de projet chez un éditeur de jeux pour iPhone, M. Dupont occupe un poste de "Web category manager" (chargé du développement d'une partie du chiffre d'affaires) au sein d'une place de marché consacrée au bricolage. M. Dupont ne se plaint pas de cette situation. Mais Génération précaire dénonce l'ambiguïté entretenue par les entreprises. "Evidemment, les jeunes qui ont des responsabilités s'en félicitent. Mais au-delà de six mois, on n'est plus dans le cadre d'un stage mais d'un emploi."
Le Conseil économique parle de 100 000 cas par an affectés à de véritables postes de travail qui devraient être occupés par de jeunes diplômés, soit 6 % du total. Porte d'accès à l'emploi, le stage est tout bénéfice pour l'économie : "Il maintient l'activité de l'entreprise et fait artificiellement baisser les chiffres du chômage", souligne Vincent Laurent, de Génération précaire. En effet, les stages ne sont pas comptabilisés dans la catégorie A des demandeurs d'emploi, qui sert de référence aux dirigeants politiques pour communiquer sur l'évolution de l'emploi.
Faute de croissance créatrice d'emplois, la multiplication des "petits boulots", stages abusifs et autres formes de travail atypiques maintient un pan de la population en activité et "n'est pas un risque sur le marché du travail si l'on pense qu'il vaut mieux travailler que rester au chômage, estime M. Wasmer. C'en est un en revanche, si cela conduit à une pression à la baisse sur les salaires des CDI. Ce type de dispositif doit être bien articulé avec le reste de la protection sociale", souligne-t-il. A l'heure où nombre de salariés bouclent leurs valises de vacances, les forçats du petit boulot se préparent à assurer la continuité de l'activité de l'entreprise et à réduire les chiffres du chômage.
Sandrine Cassini et Anne Rodier

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