Après la vague contestataire de 1968, le pouvoir
gaulliste sort renforcé. Pompidou succède au général, et le statu quo
règne. Mais de jeunes révoltés ne se résignent pas à une existence
passive, rangée dans le salariat et la consommation. Inspirés par les
hippies des États-Unis, ils s’installent à la campagne pour vivre de la
manière la plus autonome possible, libres. S’extraire du capitalisme par
l’entraide et l’auto-production, inventer d’autres façons de vivre en
rejetant la famille, la propriété, la compétition et les rapports de
domination : "Qui peut nous empêcher de réinventer la vie et de la
vivre tout de suite, comme on l’avait demandé, rêvé, proclamé,
manifesté, hurlé ?" (p. 14).
Une douzaine de communautés ont fleuri dans le Diois de 1973 à 1993 . Comme La Bâtie des Fond, Le Moulin de Menglon, la Genette de Saint Nazaire le Désert, le Chambon d'Aurel, etc
C’est le "fol été des communautés". Pour Christian Dupont, l’apogée de ce mouvement a lieu en 1970. Cette année, "on comptait en France 500 communautés rurales implantées surtout dans les départements du Sud qui avaient subi un précédent exode rural. On y trouvait des terres à l’abandon et des hameaux désertés" (p. 238). L’auteur est bien placé pour retracer cette vague. Dans l’enthousiasme et l’énergie créative, il organisait des départs en communautés depuis les Beaux-Arts, mettait en relation, s’investissait dans les comités, coordonnait l’organisation d’une société alternative avec Actuel, le journal de la contre-culture. "Fonder une autre société, poser les bases d’une authentique civilisation, c’est d’abord mettre en place les moyens et les conditions de l’autonomie. Un ensemble humain qui s’autogère devient responsable et la responsabilité ouvre la porte de la liberté – telles étaient nos préoccupations majeures" (p. 59).
Lui-même a pris la tangente. Au volant d’une 4L, il a rejoint la Vallée, 1000 hectares en friche proches de Carcassone. C’est cette expérience communautaire que retrace Osons l’utopie !. Cette recherche d’une vie pleine, épanouissante, simple et spartiate mais riche en joies. "L’exigence d’une mutation sociale radicale y fut clairement exprimée : il ne s’agissait pas de réclamer des hausses de salaire, du plein-emploi ou de défendre le régime des retraites, mais d’abolir tout un système d’asservissement pour le remplacer par un modèle qui se mette au service de l’humain, de sa dignité et de son accomplissement" (p. 7).
Au fil de ce texte qui se lit comme un roman, le lecteur croise des personnages hauts en couleur. Des babas cool de bonne famille désirant l’insouciance hédoniste, qui ne voulaient pas travailler plus de trois heures par jour, rencontrent des végétaliens austères, des mystiques, des cabossés en rupture... "Nous étions maos, anars, trotskars, révolutionnaires, libertaires, pacifistes, marginaux... communautaires !" (194) Cahin caha, le groupe parvient se répartir les tâches : retaper les bâtiments de la ferme, apprendre à cultiver la terre et à élever quelques animaux, s’approvisionner en eau, rendre le chemin carrossable, faire bourse commune, passer des compromis avec la société de consommation en se raccordant à EDF...
La vie en communauté apporte son lot de dissensions et de départs. Une tentative de suicide, des flambées de violence, des naufragés indésirables qui s’incrustent pour profiter du gîte et d’une assiette, les rapports difficiles avec la population, la surveillance constante des flics... Christian Dupont n’écarte pas les intermèdes peu réjouissants de cette expérimentation à l’équilibre fragile. L’auteur ne tombe pas dans la nostalgie et l’autosatisfaction. Il ne se glorifie pas et ne se fait pas donneur de leçons. Son récit est un retour critique, écrit avec simplicité, auto-dérision et humour, qui souligne les faiblesses de ce nouvel art de vivre, comme les instants euphoriques qu’il procure. "Je n’ai jamais été si pleinement heureux que là ! En communauté... et pourtant, c’était dur, et avec un sacré paquet de misères... mais avec des dépassements soudains, prodigieux, qui effaçaient tous les emmerdes" (p. 12).
Le fol été des communautés a tourné court. La plupart ont éclaté. Quelques-unes sont restées et ont essaimé, notamment Longo Maï, fondée en 1973 dans les Alpes de Haute-Provence. Quelques couples ont continué à vivre de manière autonome à la campagne. Mais le rêve de créer une "société de substitution", parallèle, composée d’îlots autogérés et fédérés, n’a pas pu prendre. Trop de divergences. "Le retour sur Paris nous fit savoir que le vieux monde vaquait toujours à ses occupations productivistes et qu’il restait indifférent aux délires d’une petite frange d’utopistes" (222).
Reste que l’aspiration à une existence hors système est toujours là, tenace. Le refus de se soumettre à un mode de vie déshumanisant semble même se renforcer alors que le capitalisme mondialisé agonise et que la société de consommation ne console plus. Des alternatives foisonnent, notamment recensées dans les revues S !lence et Passerelle Eco. Des squats, des écovillages fleurissent. Les jeunes qui choisissent de s’installer en yourtes, en caravanes ou dans des cabanes subissent toujours une répression policière féroce. La loi Loppsi 2 voulait criminaliser davantage ces bâtisseurs d’ "habitats illicites", avant que le conseil constitutionnel n’invalide certaines dispositions. Hier comme aujourd’hui, choisir une existence non conforme est un défi lancé à la face d’une civilisation de puissance moribonde. Plus, la dissidence devient une condition de survie : face aux chocs qui s’annoncent, une organisation basée sur des communautés locales et solidaires est la plus à même de résister [1].
Une douzaine de communautés ont fleuri dans le Diois de 1973 à 1993 . Comme La Bâtie des Fond, Le Moulin de Menglon, la Genette de Saint Nazaire le Désert, le Chambon d'Aurel, etc
C’est le "fol été des communautés". Pour Christian Dupont, l’apogée de ce mouvement a lieu en 1970. Cette année, "on comptait en France 500 communautés rurales implantées surtout dans les départements du Sud qui avaient subi un précédent exode rural. On y trouvait des terres à l’abandon et des hameaux désertés" (p. 238). L’auteur est bien placé pour retracer cette vague. Dans l’enthousiasme et l’énergie créative, il organisait des départs en communautés depuis les Beaux-Arts, mettait en relation, s’investissait dans les comités, coordonnait l’organisation d’une société alternative avec Actuel, le journal de la contre-culture. "Fonder une autre société, poser les bases d’une authentique civilisation, c’est d’abord mettre en place les moyens et les conditions de l’autonomie. Un ensemble humain qui s’autogère devient responsable et la responsabilité ouvre la porte de la liberté – telles étaient nos préoccupations majeures" (p. 59).
Lui-même a pris la tangente. Au volant d’une 4L, il a rejoint la Vallée, 1000 hectares en friche proches de Carcassone. C’est cette expérience communautaire que retrace Osons l’utopie !. Cette recherche d’une vie pleine, épanouissante, simple et spartiate mais riche en joies. "L’exigence d’une mutation sociale radicale y fut clairement exprimée : il ne s’agissait pas de réclamer des hausses de salaire, du plein-emploi ou de défendre le régime des retraites, mais d’abolir tout un système d’asservissement pour le remplacer par un modèle qui se mette au service de l’humain, de sa dignité et de son accomplissement" (p. 7).
Au fil de ce texte qui se lit comme un roman, le lecteur croise des personnages hauts en couleur. Des babas cool de bonne famille désirant l’insouciance hédoniste, qui ne voulaient pas travailler plus de trois heures par jour, rencontrent des végétaliens austères, des mystiques, des cabossés en rupture... "Nous étions maos, anars, trotskars, révolutionnaires, libertaires, pacifistes, marginaux... communautaires !" (194) Cahin caha, le groupe parvient se répartir les tâches : retaper les bâtiments de la ferme, apprendre à cultiver la terre et à élever quelques animaux, s’approvisionner en eau, rendre le chemin carrossable, faire bourse commune, passer des compromis avec la société de consommation en se raccordant à EDF...
La vie en communauté apporte son lot de dissensions et de départs. Une tentative de suicide, des flambées de violence, des naufragés indésirables qui s’incrustent pour profiter du gîte et d’une assiette, les rapports difficiles avec la population, la surveillance constante des flics... Christian Dupont n’écarte pas les intermèdes peu réjouissants de cette expérimentation à l’équilibre fragile. L’auteur ne tombe pas dans la nostalgie et l’autosatisfaction. Il ne se glorifie pas et ne se fait pas donneur de leçons. Son récit est un retour critique, écrit avec simplicité, auto-dérision et humour, qui souligne les faiblesses de ce nouvel art de vivre, comme les instants euphoriques qu’il procure. "Je n’ai jamais été si pleinement heureux que là ! En communauté... et pourtant, c’était dur, et avec un sacré paquet de misères... mais avec des dépassements soudains, prodigieux, qui effaçaient tous les emmerdes" (p. 12).
Le fol été des communautés a tourné court. La plupart ont éclaté. Quelques-unes sont restées et ont essaimé, notamment Longo Maï, fondée en 1973 dans les Alpes de Haute-Provence. Quelques couples ont continué à vivre de manière autonome à la campagne. Mais le rêve de créer une "société de substitution", parallèle, composée d’îlots autogérés et fédérés, n’a pas pu prendre. Trop de divergences. "Le retour sur Paris nous fit savoir que le vieux monde vaquait toujours à ses occupations productivistes et qu’il restait indifférent aux délires d’une petite frange d’utopistes" (222).
Reste que l’aspiration à une existence hors système est toujours là, tenace. Le refus de se soumettre à un mode de vie déshumanisant semble même se renforcer alors que le capitalisme mondialisé agonise et que la société de consommation ne console plus. Des alternatives foisonnent, notamment recensées dans les revues S !lence et Passerelle Eco. Des squats, des écovillages fleurissent. Les jeunes qui choisissent de s’installer en yourtes, en caravanes ou dans des cabanes subissent toujours une répression policière féroce. La loi Loppsi 2 voulait criminaliser davantage ces bâtisseurs d’ "habitats illicites", avant que le conseil constitutionnel n’invalide certaines dispositions. Hier comme aujourd’hui, choisir une existence non conforme est un défi lancé à la face d’une civilisation de puissance moribonde. Plus, la dissidence devient une condition de survie : face aux chocs qui s’annoncent, une organisation basée sur des communautés locales et solidaires est la plus à même de résister [1].
Christian Dupont, Les éditions libertaires, 2011, 255 pages, 15 euros.
par Pierre Thiesset
[1] Rob Hopkins, Manuel de transition. De la dépendance au pétrole à la résilience locale, Ecosociété, 2010
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