lundi 29 novembre 2010
Ville en Transition...et BioVallée en Transition
Transition écologique
Ces villes qui tentent de se libérer du pétrole
Tout
le monde n’attend pas que gouvernements et chefs d’État s’entendent sur
un hypothétique accord pour sauver le climat. Loin de Cancún, où se
tiendra le prochain sommet sur le réchauffement climatique, des réseaux
associatifs et des municipalités se lancent dans d’ambitieux programmes
pour libérer leurs villes de la dépendance pétrolière. Comment font ces «
villes en transition » ? Exemple à Boulder, près de Denver, aux
États-Unis.
Aux
pieds des montagnes Rocheuses, dans le Colorado, la ville de Boulder,
tente l’impossible : se libérer du pétrole au pays des road movies, des
drive in, de l’essence peu chère... et des plus grosses émissions de gaz
à effet de serre par habitant au monde. L’objectif, pour les 300.000
résidents de ce bastion démocrate, est de passer d’une consommation
annuelle de neuf barils de pétrole par personne, à un seul.
L’une
des chevilles ouvrières de cette révolution locale s’appelle Michael
Brownlee. Ancien journaliste, il a été chercher l’inspiration en
Grande-Bretagne, là où est né un étrange mouvement, celui des « villes
en transition ». Le concept est lancé en 2006 par un enseignant en
permaculture, Rob Hopkins. Celui-ci demande à ses étudiants d’identifier
les dépendances au pétrole de la ville de Kinsale, dans le Sud de
l’Irlande. Dans la foulée, les chercheurs élaborent un scénario de
descente énergétique ambitieux, mais réaliste, d’ici 2030. C’est de
cette expérience qu’émerge le concept de « transition ». Le défi est
majeur : éviter aux populations les dramatiques conséquences d’un pic
pétrolier trop brutal (l’épuisement progressif des ressources
pétrolières) et contribuer concrètement à la lutte contre les
dérèglements climatiques, sans attendre d’hypothétiques accords
internationaux. Le Manuel de Transition : De la dépendance au pétrole à la résilience locale de Rob Hopkins vient d’ailleurs d’être traduit en français (aux éditions Ecosociété avec la revue Silence).
Transition écologique rime avec processus démocratique
À son retour, Michael Brownlee lance le Transition Boulder County pour transformer cette agglomération moyenne en ville « décarbonée ». « Nous avions besoin de modèles à suivre. Le mouvement de la transition nous en fournit un
», explique-t-il. Le terrain est favorable. La ville de Boulder et son
comté sont déjà en pointe en matière environnementale. Dès 2002, la
ville adopte la résolution dite « de Kyoto » pour réduire ses
émissions de gaz à effet de serre [1] puis adopte dans la foulée un plan
action climat avec un budget annuel avoisinant un million de dollars.
Chaque grande mesure est soumise par référendum à la population. Un
premier amendement impose ainsi que 10% de l’énergie consommée provienne
des énergies renouvelables. En 2006, 60% des votants approuvent l’idée
d’une taxe carbone. Boulder est ainsi la première ville des États-Unis à
mettre en œuvre cette fiscalité écologique. La taxe vise à financer le
plan action climat de la ville et est collectée par Xcel Energy, le
principal fournisseur d’électricité local.
La
municipalité se dote également d’un plan « zéro déchet ». La ville
finance des audits pour réduire la consommation d’énergie des zones
résidentielles et des bureaux, subventionne un passe pour les bus et
l’installation de panneaux solaires. Boulder est particulièrement
impliquée dans le développement d’un réseau électrique dit « intelligent
». Dans une région qui possède la quasi-totalité des réserves
américaines d’uranium, la moitié du charbon ainsi que d’importantes
réserves de gaz naturel et de pétrole, il est cependant difficile de
faire vraiment bouger les lignes. La compagnie Xcel Energy a ainsi été
autorisée, malgré ces grands engagements, à ériger une nouvelle centrale
au charbon.
Absence d’alternatives à la voiture individuelle
Pour
Michael Brownlee, les différentes mesures adoptées, en se focalisant
sur l’amélioration du bâti, demeurent insuffisantes. Car au royaume de
la voiture individuelle, la question cruciale reste les transports. Et
les alternatives à la voiture y sont quasi-inexistantes. « Une bonne
partie des gens continuent de penser qu’ils peuvent aller partout où ils
veulent avec leur voiture. Boulder n’a pas tenu ses promesses », regrette Glenn Morris du Woodbine ECology Center, qui travaille sur l’idée de « communautés durables » dans le Colorado.
Seul
un quart de la population active travaillant à Boulder y vit. Cela
signifie que trois personnes sur quatre doivent emprunter leur voiture
pour se rendre sur leur lieu de travail. Un groupe de pression s’est
constitué pour que le tramway dont disposait la ville soit remis en
marche. Il est également envisagé, d’ici à 2014, la mise en place d’une
liaison par voie ferrée entre les trois grandes cités du coin :
Longmont, Boulder et Denver. « Le transport est le thème le plus
difficile que nous rencontrons. Dans le domaine de l’alimentation au
contraire, nous avons fait beaucoup de progrès sur une courte période », positive Michael.
Des AMAP version US
Selon Michael, l’alimentation représenterait environ 31 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre [2]. « Changer notre régime alimentaire est le chemin le plus rapide pour réduire nos émissions », estime-t-il. Tout
le système industriel agricole actuel va s’effondrer parce qu’il
s’appuie sur un pétrole à bas coût. Nous n’avons pas d’autre solution
que de relocaliser. »
Cela
tombe bien car dans la région de Boulder, la plupart des terres
appartiennent au comté (juridiction territoriale entre la commune et un
État). Celui-ci a proposé d’attribuer 20% de ses terres aux producteurs
locaux d’ici à 2012. Le plus compliqué étant de trouver de nouveaux
agriculteurs. « Le comté a créé un Conseil de la politique agricole et alimentaire dont j’ai été membre pendant deux ans,
explique Michael. À partir de 2010, leur objectif est que les ménages
consacrent 10% de leur budget alimentaire à la consommation de produits
locaux, contre 2% aujourd’hui. « Les gouverneurs du comté ont compris
l’enjeu et soutiennent notre travail par de petites subventions et des
déclarations officielles. La municipalité est moins réactive. Il y est
plus difficile politiquement de produire le changement. »
Quand les universités aident les paysans
À
défaut de réformes venues d’en haut, une révolution silencieuse par le
bas est peut-être en marche. Les adhésions aux « Community Supported
Agriculture », l’équivalent Middle West de nos Associations pour le
maintien d’une agriculture paysanne (AMAP), explosent dans le Colorado.
Grant Farm par exemple, la première ferme ayant bénéficié d’un label bio
aux États-Unis (dès 1975), compte aujourd’hui plus de 5.000 adhérents.
Le marché fermier de Boulder connaît lui aussi un succès croissant.
Entre deux rues engorgées par les voitures, on se bouscule entre les
étals de fruits et légumes locaux.
Un
partenariat est également noué entre ce marché fermier et l’université
du Colorado. Celle-ci propose un programme de formations permettant
l’échange entre étudiants et producteurs. Des groupes d’étudiants se
sont affiliés au mouvement de la transition. Ils ont ainsi contribué à
ce qu’un quart de l’alimentation fournie par la cafétéria de
l’université du Colorado soit biologique. « En tant qu’organisation
de transition, notre principale activité n’est pas de créer nous-mêmes
des projets mais d’appuyer les citoyens dans leurs initiatives, de les
mettre en réseau et de les aider à s’emparer du thème de la transition », explique Michael.
La transition écologique : un truc de bobos blancs ?
Boulder
est aussi une ville riche. Le prix moyen des maisons avoisine les
600.000 dollars, une somme trois fois supérieure aux prix affichés dans
le reste de l’État. Mais de grandes disparités sociales traversent la
ville. Près de 10% de la population est confrontée à l’insécurité
alimentaire. « La transition a un grand défi à relever sur le plan de la mixité, reconnaît Michael. Le
mouvement est encore jeune. La plupart des personnes impliquées dans le
processus appartiennent à la classe moyenne blanche. Je reste néanmoins
convaincu que la transition peut se développer partout dès lors que les
gens perçoivent l’urgence à agir. »
Fort
du statut de « transition trainer », Michael parcourt le pays pour
sensibiliser et créer de nouveaux groupes. Le mouvement s’étend à l’État
avec Transition Colorado. À Denver, il a rencontré Dana Miller. « Ma première question a été de savoir ce que nous pouvions faire dans une ville d’un million d’habitants, raconte-t-elle.Nous n’avons toujours pas la réponse mais nous avons créé un réseau
». Ce réseau, c’est le Grow Local Colorado qui, avec le soutien de la
ville, vise à développer l’agriculture urbaine à Denver. « 99 % des initiatives de transition commencent par les questions d’alimentation. C’est une entrée qui touche tout le monde, explique Dana. En général, les municipalités apportent leur appui, quel que soit le parti. Chacun y trouve un intérêt.
» L’État du Colorado joue aussi sa carte verte en venant d’adopter en
mars dernier une loi visant à atteindre 30% d’énergies renouvelables
d’ici à 2020. Une décision qui réjouit nombre d’industriels au regard de
l’immense potentiel hydroélectrique de la région.
« Le capitalisme va s’effondrer de lui-même »
Michael
n’attend rien du gouvernement fédéral. N’est-il pas censé disparaître
avec l’effondrement de la production de pétrole, comme le prédit le
romancier James Howard Kunstler ? Difficile de se faire entendre alors
que la surconsommation d’or noir règne encore en maître. Les États-Unis
pourraient arriver au prochain sommet sur le climat en décembre sans
avoir encore voté de dispositif contraignant de réduction d’émissions de
gaz à effet de serre (GES). « Alors que le pays est le plus grand
contributeur de GES par individu, on comprend mieux pourquoi le déni est
plus fort ici qu’ailleurs, analyse le chef de file de la transition au Colorado. Il est donc d’autant plus important que la transition s’ancre dans ce pays et réussisse. »
Michael Brownlee ne se reconnaît pas non plus dans le mouvement de la décroissance. « L’âge
de la croissance touche à sa fin, nous n’avons pas besoin de passer du
temps à critiquer le système car, de toute manière, le capitalisme va
s’effondrer de lui-même », assure t-il. L’essentiel pour lui est de
se concentrer sur le développement de systèmes locaux permettant de
répondre aux besoins fondamentaux. « La montée en puissance des initiatives locales finira par avoir un impact au niveau global, renchérit Dana. Une des choses que j’aime dans la transition, c’est que c’est une vision positive de l’avenir qui motive le passage à l’action. »
Sophie Chapelle
Notes
[1] Une réduction de 7% en 10 ans par rapport au niveau de 1990.
[2] En référence au dernier livre de l’écrivaine états-unienne Anna Lappé, Diet for a hot planet.
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