La cabane au fond du jardin
Quand le bonimenteur se soulage ...
Pensées intestines
Je me souviens de cette étrange cabane au fond du jardin. Elle
m'effrayait, elle était si obscure. Elle était peuplée d'une nuée de
mouches. L'enfant d'alors redoutait par dessus tout ce moment où il
fallait prendre son courage à deux mains et quelques pages du journal
local, pour aller vider ses entrailles.
Pour mon malheur, les aléas de la vie et des problèmes médicaux
firent que j'étais particulièrement assidu en ce lieu d'aisance, comme
disent ceux qui n'en avaient pas aussi peur que moi. Je redoutais ce
tête à tête avec ce trou béant quand je soulevais le couvercle qui
l'obstruait. J'avais toujours la crainte d'y voir surgir un monstre …
Ce n'est certes pas là que je pris ce que beaucoup prennent pour une
détestable habitude de lire, sur le Saint-siège. Pourtant, c'est là que
se fit l'essentiel de ma culture tant, je vous l'ai avoué, j'étais un
adepte de la posture savante. Mais revenons à nos tinettes d'alors,
celles qui peuplèrent mes vacances avunculaires.
La petite cabane était toujours fort loin de la maison d'habitation.
Il fallait grande nécessité pour faire tout ce chemin quand la météo
n'était pas propice ou bien que la nuit enveloppait la cour de ferme de
ces mystères et de ces nombreux bruits incertains. Il en fallait du
courage pour affronter seul ce long chemin d'angoisse. Il n'était
pourtant pas envisageable de se faire accompagner …
Que j'eusse alors aimé souffrir d'une constipation chronique. Mais
tel n'était pas mon cas et mes voyages incessants ne me permirent jamais
de m'accoutumer à la sévérité des lieux. Je revois encore la porte que
je n'ouvrais jamais sans un haut le cœur par anticipation. J'ai toujours
en mémoire ce crochet ou s'empalaient des carrés de papier journal
soigneusement découpés.
C'était un temps où l'on ne gâchait pas, où rien ne devait se perdre.
Le tas de fumier n'était pas loin, histoire sans doute de mêler hommes
et bêtes dans la même impérieuse nécessité organique. C'était surtout là
que finissait immanquablement le résultat de toutes nos visites
intestines pour engraisser par la suite la terre nourricière ….
Plus tard, bien plus tard, j'ai connu une joyeuse bande d'écologistes
anarcho-utopistes. Ils avaient installé sur un monticule, bien en
évidence devant la porte d'entrée de leur communauté, une tinette
magnifique toute de bâches transparentes entourée. Il fallait ainsi
démontrer son refus des normes bourgeoises et son désir de participer à
la grande chaine naturelle …
Chez mes oncles et tantes, la pudeur et la discrétion avaient leur
place. La tinette était toujours à l'écart, bien opaque, bien close. Un
crochet solide en barrait l'entrée quand un occupant y faisait son
ouvrage. Nul ne se vantait de ce qu'il allait faire bien que chacun pût
deviner ses intentions.
Je me souviens encore d'une tinette plus pittoresque quoique sans
doute moins soucieuse de la nature. Elle était, comme ses consœurs, tout
au fond de la prairie. Il fallait même pour celle-ci parcourir plus de
deux cents mètres qui, la nuit semblaient interminables. Elle était bien
à l'abri d'un magnifique saule pleureur dont les branches allaient
caresser les eaux du Loir.
Si la configuration extérieure de ce local secret était analogue à
ceux que je fréquentais par ailleurs, il y avait une différence de
taille dans la destination du dépôt intime que nous y faisions. Le trou
plus béant ici que chez mes autres oncles, allait directement dans les
eaux de la rivière. Naturellement, le créateur de cette magnifique
installation avec tout à l'égout sauvage avait pris la sage précaution
de placer cet édicule en aval de sa propriété.
J'avoue même, bien des années plus tard, un certain plaisir auditif
au petit bruit étouffé qu'accompagnait à chaque fois la libération de
mes entrailles. C'est peut-être là que j'ai établi cette relation si
intime avec les rivières. Que l'on veuille bien me pardonner ce récit
personnel, évocation d'un temps pas si lointain où personne ne pensait
alors fréquenter un lieu, qui bien des années plus tard, serait du
dernier chic sous le nom plus glorieux de toilettes sèches.
C'est pourtant avec quelques larmes aux yeux que je repense à toutes
ces tinettes glorieuses qui accompagnèrent mes vacances d'alors. Voilà
sans doute un billet qui ne restera pas dans les annales et pourtant je
suis certain que beaucoup encore ont ce doux souvenir en tête.
Nostalgiquement vôtre.
J'avais pensé un moment percer un cœur dans la porte de la cabane de
jardin mais de vieux souvenirs sont remontés à la surface ....
Un instituteur avait écrit au crayon de papier, sur le mur du "cabinet", d'une magnifique écriture :
"Celui qui, de ses mains bâtit ce lieu d'aisance fit plus pour l'être humain que Doumergue pour la France"
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